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paix au milieu de nous ! — Nous n’aurions pas, ajoutaient les femmes, des songes si lugubres ; la nuit comme le jour, nous voyons des lances levées sur nos têtes et la mort nous environner.

Le pays s’élevait graduellement à mesure qu’on avançait vers l’est, le sol conservant sa même nuance rougeâtre. Livingstone retrouva, en montant ce plan incliné, les essences d’arbres qu’il avait vues à l’ouest à la même altitude, entre autres le moshouka, qu’il avait rencontré dans l’Angola : c’est un arbre d’une vingtaine de pieds de hauteur ; les feuilles en sont dures au toucher, luisantes, larges comme la main ; le fruit a la forme d’une petite pomme et le goût de la poire. Les naturels lui apportèrent aussi des paniers de manico ; c’est un fruit de la grosseur d’une noix, mais d’une forme irrégulière, avec une peau cornée qui se divise en cinq loges remplies d’une matière glutineuse fort sucrée ; les pépins sont recouverts d’un velouté jaune soyeux. Parmi les autres arbres fruitiers, il remarqua le motsikiri pour ses formes élégantes, son beau feuillage touffu, d’un vert foncé, et son fruit huileux.

Le 30 novembre, il atteignit le sommet des hauteurs qui limitent à l’est le vaste plateau de l’Afrique australe. Le sommet est élevé de cinq mille deux cent soixante-dix-huit pieds au-dessus du niveau de la mer. Le flanc oriental est formé de collines rocheuses disposées en étages, qui l’entourent comme autant de contre-forts superposés. Il le descendit sans difficulté ni fatigue et rentra, sous le 26° 2’ de longitude est, dans la vallée du Zambèse, qui avait repris sa splendide parure et son exubérante fertilité ; l’eau, l’air, la terre, le dessus, le dessous, tout était plein de vie. Les quadrupèdes de la plus haute espèce étaient si familiers qu’ils se plaçaient sur son chemin pour le voir passer avec sa troupe ; il dut souvent les écarter à coups de fusil. En quittant les Batokas, il entra dans la grande tribu des Banyanis, qui diffèrent de leurs voisins par l’étrange figure que se donnent les femmes. Elles se percent la lèvre supérieure et en élargissent le trou jusqu’à ce qu’elles puissent y insérer un coquillage, ce qui leur donne quelque ressemblance avec le canard. Livingstone, en traversant ce pays, eut quelque peine à éviter tout fâcheux conflit avec les habitans ; il y réussit cependant et arriva le 14 janvier 1856 à Zambo, ancien comptoir portugais. C’est par erreur que toutes les cartes modernes portent encore Zambo comme une ville placée sous la domination du gouvernement de Lisbonne ; cette factorerie n’existe plus depuis longtemps : Livingstone n’y a trouvé que les ruines d’une dizaine de maisons et d’une église. Près d’un pan de mur de ce dernier bâtiment est une cloche fêlée que les indigènes appellent encore « le tambour du devoir. » Malgré son heureuse position au confluent du Langwa et du Zambèse, Zambo doit être rayé des cartes de l’Afrique ; mais si les géographes