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tarissaient pas. À Libonta, l’un des compagnons de Livingstone et le plus disert, Pitsané, parla plus d’une heure, au milieu d’un auditoire avide de l’entendre, des grandes choses qu’ils avaient vues. Chemin faisant, ils distribuaient à leurs parens et à leurs amis les graines qu’ils avaient achetées à Loanda. Le docteur avait aussi fait dans une corbeille un semis d’orangers, d’anacardiers, de figuiers, de caféiers, de papayers et d’autres arbustes à baies édibles. Ne jugeant pas prudent d’apporter ces plantes trop au sud, il en fit une petite pépinière dans l’enclos d’un chef sous le 12° 37′ de latitude sud. Les voyageurs arrivèrent à Linyanti en octobre 1855, deux ans après leur départ. Sékélétou convoqua une assemblée générale pour fêter leur heureux retour et recevoir officiellement les présens que le gouverneur et les négocians de l’Angola lui avaient envoyés. Ce fut encore Pitsané qui porta la parole, et il s’en tira avec honneur. Après un tableau animé des merveilles des pays de l’ouest, il affirma avec assurance que, s’ils n’en avaient pas vu davantage, c’est qu’ils étaient arrivés au bout du monde. Au service religieux du dimanche suivant, Sékélétou parut en uniforme de colonel de l’armée portugaise, ce qui contribua fort peu au recueillement de l’assemblée.


V

Livingstone n’avait cependant accompli que la moitié de sa tâche. Il ne lui suffisait pas d’avoir mis le centre de l’Afrique australe en communication avec l’ouest, il voulait encore le mettre en communication avec la côte du Mozambique à l’est, et ouvrir ainsi une route qui prendrait le sud de ce continent en écharpe. Cette partie de son œuvre était moins considérable que la première, et d’une plus facile exécution. Point d’incertitude quant au chemin à prendre, il n’avait qu’à suivre le Zambèse pour arriver à Quillimane, situé à l’embouchure de ce fleuve et sous la même latitude que Linyanti. Sékélétou, mieux en état de juger de l’utilité de l’entreprise, montra beaucoup d’empressement à seconder le voyageur, et mit à sa disposition une compagnie de cent quatorze de ses sujets, composée de plusieurs groupes, appartenant aux différentes tribus riveraines du Zambèse et dont chacun avait sa spécialité. On y remarquait surtout le groupe des nageurs, qui avaient pour mission d’aller détacher de nuit sur la rive opposée des fleuves qu’ils devaient traverser les canots que des chefs malveillans refuseraient de mettre à leur disposition ; ces nageurs portaient des rames en guise de carquois. En marche, les groupes conservaient leurs places respectives, et aux repas la séparation était commandée par les mœurs, chaque tribu ayant une manière différente d’apprêter sa nourriture. Le soir, chacun avait sa besogne tracée à l’avance ; les uns, attachés au