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beaucoup d’intérêt à ses vingt-sept Makololos. Ceux-ci mirent si bien leur temps à profit qu’ils s’amassèrent un pécule avec lequel ils achetèrent une provision considérable de graines de plantes légumineuses et d’arbres fruitiers dont ils voulaient enrichir leur pays. Quand on sut que le voyageur anglais allait se remettre en route pour traverser l’Afrique de l’ouest à l’est en repassant par Linyanti, les négocians se cotisèrent pour envoyer à Sékélétou un assortiment des articles de commerce de la colonie avec deux ânes pour les porter. La junte des travaux publics y ajouta un cheval et un uniforme de colonel ; l’évêque eut de son côté l’extrême politesse de remettre au docteur une lettre de recommandation pour les autorités portugaises du Mozambique. Il partit le 20 septembre et dut consacrer plus d’une année à ce voyage de retour. En quittant l’Angola, il avait accepté la société de marchands nègres qui allaient à Matiamwo[1], capitale des Balondas. Il voulait, utilisant la connaissance qu’ils avaient du pays, étendre vers le nord-est son champ d’exploration ; mais la lenteur désespérante avec laquelle ils marchaient, ne faisant en moyenne que 4 kilomètres par jour, ne lui permit pas de réaliser son projet. Craignant d’épuiser ses ressources, il se sépara de ses compagnons de voyage à Cabango, — un des principaux centres commerciaux du Londa sous le 9° 31’ de latitude sud et le 18e degré de longitude est, — pour reprendre la direction du sud-est et rentrer ainsi dans le bassin du Zambèse. Les villages étaient clair-semés et d’un difficile accès. Les sentiers qui les reliaient entre eux étaient fort étroits et souvent cachés sous une herbe épaisse, dure, à lames tranchantes, qui mettait en sang les pieds des Makololos. La vue d’un blanc était un phénomène tout nouveau dans ces régions inconnues et inspirait, surtout chez les femmes, un véritable effroi. Elles se plaçaient pour le regarder derrière les palissades de leurs jardins, et quand il s’approchait, elles se précipitaient dans leurs huttes. Lorsqu’un enfant le rencontrait, il poussait des cris jusqu’à se pâmer. Les chiens s’arrêtaient tout court en le voyant, puis se sauvaient la queue entre les jambes, comme s’ils avaient vu un lion. Les ânes étaient inconnus dans ce pays : aussi, lorsque l’un de ceux que Livingstone menait à Sékélétou se mettait à braire, la terreur était à son comble dans tous les alentours ; mais dès qu’on eut franchi la frontière des états soumis aux Makololos, le voyage ne fut plus qu’un triomphe. On sortait en foule des villages pour aller à la rencontre de la troupe, on contemplait les hardis voyageurs comme des ressuscités, car personne n’avait douté qu’ils n’eussent succombé dans leur entreprise. Les questions et les réponses ne

  1. Cette ville donne son nom au chef supérieur du Londa.