Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

antique. Des colonnes de marbre couvertes de bas-reliefs et surmontées d’arcades rondes lui font une entrée monumentale. Des niches en coquilles, des frises de feuillages, de boucliers, de chevaux, d’hommes nus, de cygnes, de poissons, d’amours, étalent dans le fond toute la diversité et toute l’ampleur de la nature héroïque ou vivante. Une multitude de figurines sculptées brodent les murs et les piliers : ici les Parques nues, parmi des raisins et des fleurs, avec l’imitation un peu littérale et grêle de la structure humaine comprise pour la première fois ; là une résurrection où la recherche curieuse de la forme pittoresque se mêle au sentiment poétique de la forme idéale. Et comme pour témoigner de la foi vivace qui dure toujours la même à travers les transformations de l’art, on trouve au milieu de cette décoration sensuelle et magistrale des ex-voto par centaines, des béquilles, de petits tableaux de dix sous et une quantité de troncs qui réclament des offrandes.

Mais ce qui véritablement fait de cette église un monument unique et comme un mémorial de tous les siècles, ce sont les tombeaux dont elle est peuplée. Tout à l’heure dans l’église des Eremitani je voyais ceux des Carrare. Aucune œuvre n’est plus propre à faire comprendre les idées et les goûts d’un siècle, car la main de l’architecte y a travaillé, comme celle du sculpteur, et, si divers que soient les monumens, ils représentent tous la même idée, une idée simple et de première importance, celle de la mort, en sorte que le spectateur suit dans leurs différences les différentes façons dont l’homme a compris le plus redoutable moment de sa vie et le plus poignant, le plus universel, le plus intelligible de ses intérêts. Ici la série est complète. Une dame morte en 1427 dort couchée dans une alcôve ; au-dessous d’elle, trois figurines dans une niche à coquille regardent d’un air sérieux, et leur tête lourde, leur attitude, leur draperie, sont aussi simples que la chambre funéraire où repose la morte. Près de là sont des tombeaux du XVIe siècle, celui du cardinal Bembo, grande figure un peu chauve avec une superbe barbe et la fierté d’un portrait de Titien ; l’autre, grandiose et pompeux comme un triomphe, celui du général vénitien Contarini. Une frise de vaisseaux, de cuirasses, d’armes et de boucliers tourne autour des assises de marbre. Des tritons sonnans, des cariatides de captifs enchaînés y étalent les emblèmes et les insignes des victoires maritimes. Des corps nus, des têtes à la physionomie simple s’étagent avec la vigueur et la franchise d’expression d’un art sain qui est dans sa sève et dans sa fleur. Sur les côtés se déploient deux figures de femmes, l’une jeune et fière, en tunique collante, les seins saillans, l’autre vieille et pleurante, mais non moins robuste et musclée. Au sommet de la pyramide, une belle Vertu les yeux baissés, mais la jambe et la poitrine nues,