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résultats de deux siècles d’efforts. Ce sont néanmoins les missionnaires qui semblent appelés à rendre les services les plus signalés à mesure que, se renfermant davantage dans leur rôle de charité, ils aspireront à n’être que les instrumens dévoués de l’Évangile, à mesure aussi qu’ils comprendront mieux que l’Évangile et la science doivent s’entendre mutuellement pour combattre l’ignorance et la superstition et travailler à l’émancipation des peuples. Cette vérité, qui n’a pas compté assez d’adeptes dans plusieurs fractions de l’église et surtout dans la phalange, si respectable d’ailleurs, des missionnaires, commence à se faire jour parmi eux. Les sciences naturelles, la philologie comparée, la géographie, doivent beaucoup à leurs travaux. Le docteur Livingstone, par exemple, est un des hommes qui ont rempli ce double mandat du missionnaire et du savant avec le plus d’intelligence et de courage dans de longs et périlleux voyages d’exploration, les plus remarquables de notre siècle. Il a le premier traversé l’Afrique australe du sud au nord et de l’ouest à l’est. Un aperçu général de la portion du continent africain que Livingstone a ouverte aux entreprises de la science, de la foi et du commerce, fera mieux comprendre l’intérêt qui s’attache à ses efforts, et doit précéder naturellement le récit de ces explorations poursuivies avec une ardeur infatigable de 1849 à 1864.


I

L’Afrique est une péninsule qui se termine, comme les autres grandes fractions de la terre, en pointe vers le sud. Vous n’y voyez aucune de ces découpures que l’on remarque dans l’hémisphère boréal, et qui, en permettant à la mer de pénétrer dans l’intérieur des terres, allongent le littoral, multiplient les points de contact, fournissent au commerce de précieuses facilités. Elle n’a pas autour d’elle une ceinture d’îles qui inspirent l’amour des voyages maritimes en faisant naître le long des côtes un mouvement qui ondule jusque dans l’intérieur du continent. L’Afrique est une masse compacte, serrée, qui semble vouloir vivre par elle-même et repousser les avances de la civilisation. Elle déroule aux yeux de l’Europe ses côtes septentrionales comme pour l’inviter à en prendre possession ; mais ces côtes sont détachées du reste du continent par une mer méditerranée qu’un mouvement turgescent de la terre a convertie en un immense désert. Cependant, comme s’il suffisait qu’un pays veuille se soustraire aux regards des étrangers pour provoquer chez ceux-ci le désir de l’explorer, l’Afrique n’a pas cessé de stimuler la curiosité des nations civilisées depuis les voyages de circumnavigation des Tyriens et des Carthaginois. Les anciens et au moyen âge les Arabes ont fourni leur