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d’artisans. On fait beaucoup de bruit pour n’aboutir qu’à de médiocres résultats. Si pourtant la législation actuelle sur le régime des sociétés ne se prête pas au mécanisme spécial de la coopération, et cela paraît évident, on ne saurait hésiter à la compléter, car il ne faut pas qu’une forme de société de laquelle, à tort ou à raison, l’on espère quelque bien soit interdite ou gênée par les articles du code. La présentation d’un projet de loi et l’enquête qui vient d’avoir lieu prouvent que le gouvernement s’occupe de la question. Bientôt sans doute la société coopérative aura son régime légal tout comme la société anonyme et la société en commandite. L’expérience montrera ce qu’elle contient réellement d’utile et d’efficace dans l’intérêt du travail.

Nous l’entendons discuter partout, cette grande cause du travail ; mais ses nombreux avocats ne parlent pas tous le même langage. Les uns, s’attardant à la poursuite d’une révolution sociale accomplie depuis plus d’un demi-siècle, demandent la réhabilitation du travail, qui n’a jamais été plus honoré, l’affranchissement de serfs qui n’existent plus, et l’avènement de la démocratie au moment même où il ne serait que trop permis de répéter que la démocratie coule à pleins bords. Les autres, transformant la question du travail en argument politique, s’en emparent avidement et s’appliquent à enrôler les ouvriers dans les rangs d’un parti où ces recrues du suffrage universel apporteraient la puissance, aujourd’hui formidable, du nombre. Quant aux économistes, si l’on excepte les esprits ardens qui se sont livrés dès le premier jour au courant des doctrines nouvelles et qui aspirent à la direction du mouvement coopératif, ils se tiennent à l’écart et ne s’expriment encore que timidement, soit que la situation ne leur semble pas aussi périlleuse qu’elle l’était en 1848, soit qu’ils craignent de compromettre par des objections importunes, le crédit de la science qu’ils aiment et la popularité de leur nom. Au milieu de ces déclamations, de ces appels passionnés, de ces doutes, dans cette Babel aux mille langues, comment espérer que la froide discussion pourra éclairer et résoudre le problème ? Il est aussi déplaisant que difficile d’opposer la contradiction aux promesses et aux illusions qui circulent parmi les populations ouvrières de nos villes ; mais il est permis d’exprimer au moins des réserves sur l’efficacité probable de ces réformes que l’on nous montre si grandes, mais qui, analysées de près à la lumière des faits et des principes, pourraient bien n’être plus que de vulgaires expédiens. Quoi qu’il en soit, l’épreuve va se faire, et un avenir prochain nous dira si la doctrine coopérative est en mesure de tenir tous les engagemens que l’on a pris en son nom.


C. LAVOLLEE.