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production. Elle transforme en risque commercial la rémunération du travail et si elle peut à certains momens donner quelques bénéfices à l’ouvrier, elle doit en temps de crise lui apporter infailliblement la ruine et la misère. Dans l’organisation actuelle de la production et du commerce, la faillite d’un fabricant ou d’un négociant affecte le capital beaucoup plus que le salaire ; avec l’organisation nouvelle, la faillite de l’association coopérative frapperait le salaire en même temps que le capital, ou plutôt elle frapperait exclusivement le salaire, car le capital social est formé à l’aide des économies de l’ouvrier, et par la multiplicité des victimes, elle prendrait les proportions d’un véritable désastre.

S’il est démontré que la société de production n’est en réalité qu’une entreprise commerciale, et quelle offre l’inconvénient très grave, d’établir entre le travail de la main-d’œuvre et l’opération de la vente une, solidarité qui est dangereuse pour l’ouvrier, il faut au moins, si l’on y persiste, la constituer de manière à conjurer ce péril autant que possible. Le régime administratif, le mode de gestion a donc une importance capitale. Or que propose-t-on le plus généralement ? On désire que l’association coopérative, en appelant tous ses membres à prendre part à la direction de l’affaire commune, contribue à l’instruction, à la dignité, à l’amélioration morale autant qu’au bien-être matériel des associés, et sous l’inspiration de cette louable pensée, qui ne peut manquer de séduire l’imagination de ceux qu’elle intéresse, on organise un système de réunions fréquentes, provoquant une discussion presque continuelle, plaçant les délégués qui ont temporairement la gérance dans l’obligation d’exposer, et d’expliquer à toute heure leurs actes et la situation de la société. Quoi de plus rationnel au premier abord ? Malheureusement les entreprises commerciales ne s’accommodent point d’une telle procédure. Les contradictions inséparables de débats fréquens, l’inévitable tumulte des réunions, la révélation des affaire engagées, la critique même juste des actes de la gérance, toutes ces conditions qui procèdent de la forme républicaine ou parlementaire sont en désaccord avec les convenances du commerce. Périlleuses pour les sociétés de crédit et de consommation, elles seraient fatales pour les sociétés de production, dont l’œuvre, plus complexe plus hasardeuse, exige impérieusement l’esprit de suite, l’harmonie intérieure, la discrétion. Aux embarras très sérieux qui résultent du caractère de la société de production, l’on ajouterait les difficultés personnelles. Il n’est point nécessaire de s’étendre longuement sur ce point. Quiconque aura pratiqué quelque peu les affaires industrielles et commerciales sera certainement frappé du vice constitutionnel des sociétés coopératives. On prétend faire de