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petite industrie, entre les ouvriers agglomérés dans les usines et les artisans. Pour les premiers, l’association coopérative devient de jour en jour plus impraticable. Ce qui caractérise l’industrie moderne, c’est qu’elle tend à produire en grand, avec de puissans capitaux, à l’aide de machines perfectionnées et très coûteuses, pour diminuer le prix de revient et pour lutter contre la concurrence. Cette transformation du mécanisme industriel profite à la société tout entière en ce qu’elle procure une fabrication plus abondante et plus économique. Ajoutons incidemment qu’elle profite surtout aux ouvriers en ce qu’elle est accompagnée d’une hausse plus ou moins marquée dans la rémunération de la main-d’œuvre ; on observe en effet que, sauf des exceptions assez rares, les plus forts salaires se rencontrent dans les ateliers qui possèdent le meilleur outillage. Or, quelque combinaison que l’on imagine, on ne réussira pas à former du premier coup avec des cotisations ouvrières, si nombreuses qu’elles soient, le capital indispensable pour constituer la fabrique de manière qu’elle puisse affronter la concurrence des grandes usines, parer aux risques de pertes et supporter les crises qui viennent trop souvent compromettre la production. Par conséquent l’association coopérative ouvrière se trouverait, dès le début, dans une situation d’infériorité manifeste, et si elle ne succombait pas tout de suite, son existence ne serait qu’un pénible et stérile débat contre l’insuffisance de son capital. Les fabriques ne naissent plus aujourd’hui qu’avec des capitaux entièrement réalisés ; elles ne résistent pendant les crises et elles ne se développent aux jours de prospérité que par l’apport de fortes réserves de capital. Pour les installer comme pour les soutenir, l’accumulation successive de minimes cotisations demeurerait presque toujours impuissante.

Restent donc les artisans. Pour peu que nous observions les faits, nous sommes frappés du nombre de patrons qui ont commencé par être ouvriers. Chaque jour, l’ouvrier d’hier, recueillant ses modestes épargnés et obtenant une commandite, s’établit et devient chef d’industrie. Nous n’avons rien à envier sur ce point à l’Angleterre ni à l’Allemagne. De toutes les nations de l’Europe, là France est celle où la transition de l’état d’ouvrier à celui de patron est le plus fréquente. C’est que réellement la société française ne connaît plus ni castes ni classes : les lois n’entravent plus l’élévation naturelle qui est due à l’intelligence et au travail ; les mœurs la favorisent ; nous nous sentons tous honorés, nous apprécions les bienfaits du nouveau régime comparé avec l’ancien lorsque nous voyons parmi les chefs d’industrie les hommes qui ont débuté dans les derniers rangs de l’atelier. Toutes les professions qui ne réclament qu’une faible mise de capital se recrutent ainsi. L’association coopérative