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risques auxquels est exposée toute opération mercantile. Il faudra donc que l’association, se substituant aux intermédiaires, supporte les frais et les risques. On oublie encore que le marchand de détail ne réalise de bénéfices appréciables qu’en attirant et en disputant à la concurrence une clientèle très nombreuse. L’association aura donc besoin pour prospérer de recruter dans son sein et au dehors la foule des cliens, et il n’est pas présumable qu’un simple gérant fasse les mêmes efforts et obtienne les mêmes résultats que le commerçant libre inspiré de toutes les ardeurs et de toutes les audaces de l’intérêt personnel. On ne signale que les bénéfices ; il serait juste de tenir également compte des pertes, et si l’on examinait la question sous tous ses rapports, on reconnaîtrait facilement que l’association avec son gérant, qui devrait cumuler plusieurs branches de trafic, avec son capital le plus souvent restreint, avec ses règles de prudence nécessaires, serait en définitive moins fortement armée contre la concurrence, par conséquent plus vulnérable que ne l’est le détaillant expérimenté dans son métier jouissant d’un bon crédit et pouvant faire mouvoir librement tous les ressorts de l’action commerciale.

S’il suffisait aux acheteurs de constituer des associations pour obtenir les denrées avec le double avantage de la bonne qualité et du bas prix, et si la formation des associations de cette nature entre les ouvriers n’était empêchée ou retardée que par le manque de capitaux, on verrait sans aucun doute les consommateurs riches et aisés, qui possèdent et au-delà les ressources nécessaires, recourir au procédé coopératif, car ils ne sont pas moins intéressés que les ouvriers à s’affranchir d’intermédiaires qui les serviraient mal et chèrement. Qui donc serait assez peu avisé pour dédaigner une économie qui porterait sur la plupart de ses achats les plus usuels ? Si la combinaison est bonne pour les ouvriers, elle est bonne pour tout le monde, et chacun doit s’en emparer. Associés et capitaux afflueront avec empressement. Comment n’est-ce pas déjà fait ? Alors que pour les entreprises les plus diverses le mécanisme de l’association est employé avec tant de succès, comment n’y a-t-on pas songé tout d’abord pour ce grand et universel besoin de la consommation ? C’est qu’en vérité le progrès n’est pas là ; c’est que la consommation est mieux servie par la division du travail ; c’est que le régime de la concurrence assure, autant que cela est possible, la bonne qualité des produits et la modération des prix de vente. Le trafic des denrées alimentaires n’est point soumis à des règles particulières : il ne connaît d’autres lois que la liberté et la concurrence.

Il peut arriver que, dans certaines éventualités, la concurrence n’existe pas. Voici, par exemple, une grande usine dans une localité où l’ensemble de la population ne comporte pas la présence de