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en théorie un corollaire de l’association des forces humaines, et en pratique un procédé rationnel, nécessaire et universellement appliqué.

Ce qui répand à première vue quelque incertitude sur la question, c’est que les adversaires du salariat invoquent contre lui les erreurs et les abus auxquels peut donner lieu la fixation du salaire. Ils montrent que dans certains cas le taux du salaire n’est point ce qu’il devrait être, qu’à défaut du libre débat entre le producteur qui le paie et le producteur qui le reçoit, c’est-à-dire entre le patron et l’ouvrier, le second se trouve le plus facilement lésé dans ses intérêts et qu’il est à cet égard dans un état d’infériorité qui blesse le sentiment de justice, que dans la répartition des produits du travail commun le salarié est réduit à la condition du plus faible sacrifié au plus fort, et qu’il se voit impuissant à revendiquer, à obtenir ce que lui attribuerait un partage équitable. Raisonner de la sorte, c’est déplacer la question. Il est bien vrai que le régime légal du travail peut altérer le taux naturel du salaire. Aussi les économistes ont-ils toujours réclamé contre les lois, contre les règlemens, contre les coutumes qui tendent à fausser la valeur d’échange pour les services personnels ; mais de ce que la loi est imparfaite, il ne faut point conclure que le principe est mauvais. La loi peut n’être et n’est trop souvent que l’expression incorrecte d’une idée juste. Demandez qu’on l’améliore, attachez-vous à faire disparaître tout ce qui gêne la liberté en pareille matière, analysez les élémens si nombreux, si compliqués et si obscurs qui se résument dans le salaire, ainsi que les circonstances si variables de temps, de lieux, de personnes, qui influent sur le prix courant, sur le prix vrai du travail, et recherchez les moyens par lesquels on arriverait à déterminer le plus sûrement la part de rémunération qui revient à chaque agent de la production, sans que l’un soit jamais sacrifié à l’autre. Voilà le champ qui est ouvert, et pour longtemps encore, aux investigations utiles. Quant au principe du salariat, il est tout à fait innocent des erreurs de législation que l’on signale et que l’expérience peut rectifier : il se justifie par sa propre vertu ; il subsiste et il demeure invulnérable, parce qu’il offre des garanties de rémunération qui conviennent à la plupart des producteurs, qui leur sont même nécessaires, et parce qu’il maintient dans le travail collectif les conditions de sécurité et de permanence sans lesquelles toute association et la société elle-même périraient.

Est-il besoin maintenant de démontrer combien est fausse l’opinion qui attribue au salaire une origine féodale et un caractère servile ? Étrange abus de l’histoire ! Quel rapport y a-t-il entre le seigneur du moyen âge et le propriétaire ou le patron moderne,