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Garibaldi est sur le plancher ; près de lui, on voit une cruche d’eau et un morceau de pain ; l’épigraphe, par Alexandre Dumas, le compare à Cincinnatus. — Le libraire me répond en souriant que le Maudit est défendu en italien, mais qu’il ne l’est pas encore en français. On a interdit les portraits de Garibaldi, mais non les lithographies à plusieurs personnages. Sous cette administration régulière, la loi est exécutée à la lettre, et pour innover on attend les ordres de Vienne.

On avance et on trouve une ville bien tenue, provinciale, munie de ses arcades et d’un prato tout vert. A voir sa tranquillité et son aspect décent, ses sentinelles en capotes grises, le voyageur se dit qu’on y doit, comme dans toute ville bien réglée, manger bien, dormir mieux, prendre des glaces au café, s’amuser sans fracas. suivre les cours d’une université qui ne fait pas de bruit, et que la seule affaire grave pour les habitans, c’est de payer l’impôt au jour dit. Là-dessus on pense à ce qu’elle fut au moyen âge, à son podestat Ezzelin le bourreau d’enfans, aux supplices de ses nobles qui jour et nuit criaient dans les tortures, à ces jeunes seigneurs condamnés qui, s’échappant des mains des gardes, poignardaient leur juge ou déchiraient avec leurs dents le visage de leur persécuteur, aux combats acharnés, aux aventures romanesques des Carrare. Et comme à Bologne, à Florence, à Sienne, à Pérouse, à Pise, on ne peut s’empêcher de mettre en regard la vie terrible, hasardeuse, énergique, des cités ou des principautés féodales avec l’ordonnance sage et la douceur plate des monarchies modernes. Ici tout ce qui reste de pittoresque et de grand vient par contre-coup de cette grande époque. En tout pays, la riche invention dans le champ de l’art a pour précédent l’énergie indomptée dans le champ de l’action. Le père a combattu, fondé, souffert héroïquement et tragiquement ; le fils recueille aux lèvres des vieillards la tradition héroïque et tragique, et, protégé par les efforts de la génération précédente, moins pressé par le danger, assis dans l’œuvre paternelle, il imagine, exprime, raconte, sculpte ou peint les fortes actions dont son cœur, encore soulevé, sent les derniers retentissemens[1]. C’est pour cela que les œuvres d’art sont si nombreuses en Italie, chaque ville a les siennes ; il y en a tant que le visiteur en est accablé : il faudrait toujours recommencer à décrire. Je suis presque content de ne pouvoir aller à Modène, à Brescia, à Mantoue ; je ne regrette que Parme. Je partirai avec une

  1. La génération de 1820 à 1830, après les guerres de la révolution et de l’empire, — la peinture hollandaise après la guerre des Pays-Bas contre l’Espagne, — l’architecture gothique et les chansons de gestes après l’établissement de la société féodale, — la littérature du XVIIe siècle en France après l’établissement de la monarchie régulière, — la tragédie, l’architecture et la sculpture grecques après la défaite des Perses, etc.