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porté par deux étages d’arcades dont les colonnes et les chapiteaux semblent par leurs disparates empruntés à des temples païens ; déjà au temps de Constantin les architectes impuissans dépouillaient les édifices païens de leurs marbres et de leurs sculptures. Des arabesques lourdes couvrent les murs, et sur la voûte on voit le baptême de Jésus-Christ, autour de qui sont rangés en cercle les douze apôtres, gigantesques figures en tunique blanche et en manteau doré. Leur tête est petite, d’une longueur étonnante ; leurs épaules sont étroites, leurs yeux s’enfoncent dans leurs grandes arcades creuses. Et néanmoins le régime ascétique ne les a pas encore étriqués au même degré que leurs descendans du siècle suivant à San-Vitale : saint Thomas garde un reste d’énergie ; saint Jean-Baptiste demi-nu est encore à demi vivant ; sa cuisse, son épaule, sa tête, sont saines. On voit à travers l’eau toute la nudité de Jésus ; sauf le bras, ses muscles se tiennent encore. Peut-être l’artiste chrétien avait-il sous les yeux quelque peinture antique, et ses yeux, obscurcis par la tyrannie des idées mystiques, suivaient des contours que sa main tremblotante, appesantie, ne pouvait et n’osait plus tracer qu’à demi.

Trois ou quatre autres monumens achèvent de montrer cette décadence. Cette Placidie, princesse impériale, à qui le Goth Ataulf son mari donna pour présent de noces cinquante esclaves qui portaient chacun un bassin rempli d’or et un autre rempli de pierreries, a son monument près de San-Vitale. C’est un petit temple bas, en forme de croix, où l’on descend par plusieurs marches, sorte de souterrain rougeâtre et sombre brodé de mosaïques. Rosaces, feuillages, oiseaux fantastiques, biches au pied de la croix, évangélistes, figure informe du bon pasteur entouré de ses brebis, toute l’œuvre est sauvage, d’un luxe emphatique et barbare. Plusieurs tombeaux s’abritent dans l’ombre humide. L’un d’eux représente le divin agneau, et pour toison il a des écailles ; sous la croix du sépulcre de Placidie, on distingue un troupeau : sont-ce des moutons, des chevaux ou des ânes ? — Une autre cave contient le tombeau de l’exarque Isaac, mort au milieu du VIIe siècle. On y voit des bas-reliefs qu’un maçon moderne n’avouerait pas, les trois mages habillés en barbares, avec des pantalons, des manteaux et des bonnets de pâtres germains, un Daniel, un Lazare, dont la tête est grande comme un quart du corps, des paons qu’on a peine à reconnaître. Tout cet art s’affaisse et se décompose, comme un bâtiment pourri qui s’avachit et se délite. À ce moment, Ravenne, en passant sous la main des Lombards, ne fait que tomber d’une barbarie dans une barbarie : byzantin et gothique, les deux arts se valent. En même temps que les hommes, la terre se gâte ; la fièvre en été tue les habitans ; les marécages s’étendent, et la ville s’enterre. Il a fallu