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fleurs et d’une résille grossière ; d’autres, encore plus altérés, présentent un chiffre ; l’élégant chapiteau corinthien s’est déformé entre ces mains de maçons et de brodeurs jusqu’à n’être plus qu’une complication de dessins barbares. Et tout de suite l’impression devient décisive quand on regarde les mosaïques. On voit l’impératrice Théodora, l’ancienne sauteuse, la prostituée du cirque, apportant les offrandes avec ses femmes : figure pâle et presque détruite, comme d’une lorette poitrinaire ; rien que des yeux énormes, des sourcils joints et une bouche ; le reste du visage s’est réduit, effilé, le front et le menton sont tout petits ; la tête et le corps disparaissent sous l’ornement. Il n’y a plus en elle que le regard ardent, l’énergie fiévreuse de la courtisane rassassiée et maigre, maintenant enveloppée et surchargée sous le luxe monstrueux de l’impératrice ; un diadème étincelant étage sur sa tête des étoiles de rubis et d’émeraude ; les perles et les diamans se hérissent en broderies sur sa robe ; son manteau de pourpre violacée est brodé d’or, sa chaussure est d’or. Les femmes qui l’entourent scintillent comme elle, toutes couturées de perles et jaspées d’or : même ampleur des yeux qui absorbent tout le visage, même petitesse du front envahi par les cheveux, même pâleur de la figure plâtrée et déteinte. Que le mosaïste soit un simple ouvrier qui copie un type accepté ou un peintre qui fait des portraits, peu importe ; on peut prendre ici une idée de la femme telle qu’ils la voient, ou telle qu’ils se la figurent, lorette usée et couverte d’or.

De l’autre côté paraît Justinien, avec ses guerriers à droite et son clergé à gauche, sorte de niais solennel en grand manteau brun, avec des brodequins de pourpre, paré, doré comme une châsse. C’est une figure de bois, inerte ; les deux ministres à droite vont tomber ; ses guerriers sous leur grand bouclier oriental sont des marionnettes. L’artiste est descendu aussi bas que le modèle.

Au fond de l’abside et sur les deux flancs de la chapelle se développent les files de personnages sacrés, le Christ tenant un livre entre deux saints et deux anges, — diverses scènes de la Bible : Abel sacrifiant, Abraham servant les messagers célestes, — et sur la voûte des paons, des urnes, des animaux. L’art de grouper les personnages n’est pas encore oublié, du moins ils savent faire des ordonnances symétriques : parfois dans une tête de saint Pierre ou de saint Paul on démêle un reste du type antique ; mais les figures sont raides, inarticulées, presque semblables à celles d’une tapisserie féodale. Toujours reparaissent les grands yeux caves, les cornées blanches, le visage mort, livide, brunâtre ; le Christ semble un être dissous ramené du sépulcre, une vision de malade.

J’ai vu deux ou trois autres églises, Santa-Agata, le Baptistère. Celui-ci est du Ve siècle, assez semblable à celui de Florence,