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encore une fois une cause naturelle à l’accès de folie du président. Les démocrates surtout, qui étaient triomphans la veille, n’avaient plus rien à répondre à l’indignation des radicaux. L’Evening-Post, le journal du poète Bryant, qui avait jusque-là soutenu fidèlement la politique présidentielle, déclara que le discours de M. Johnson était un déshonneur pour lui-même et pour son pays, et qu’il devait à l’opinion publique une réparation solennelle. Les radicaux regagnaient ainsi en un jour tout le terrain qu’ils avaient perdu.

Telle est la situation des partis. Leurs combats d’aménités américaines vont aboutir sans doute à un compromis. Si mal qu’ils soient ensemble, le président et le congrès ont besoin l’un de l’autre et ils sont obligés de s’accorder tant bien que mal. Dès le lendemain du discours, dans un caucus républicain tenu au Capitole, il fut résolu qu’on profiterait de l’avantage pour offrir au président l’admission des membres du Tennessee en gage de réconciliation et de concorde. Un rapport du comité de reconstruction a donné ce conseil aux deux chambres, tout en maintenant sans réserve les droits absolus du congrès et l’exclusion systématique des autres députés du sud. Dans le sénat, M. Wilson a proposé sur la question du bureau des affranchis un bill radouci qui en allonge les pouvoirs pour deux ans seulement, et sans y rien ajouter de nouveau : on assure qu’une loi de ce genre pourrait être ratifiée par le président. C’est dans la même pensée de modération et de sagesse que la chambre des représentans vient d’ajourner au mois d’avril la discussion approfondie d’un amendement constitutionnel pour garantir aux affranchis le plein exercice des droits civils. Quant à l’amendement électoral voté il y a un mois dans la chambre, le sénat écarte cette cause de discorde par un vote où les radicaux avancés donnent la main aux démocrates extrêmes. C’est M. Sumner lui-même qui a combattu et fait échouer la mesure en proposant une loi fondée sur l’amendement constitutionnel abolissant l’esclavage, pour interdire « toute oligarchie, caste ou monopole, » et ordonner qu’en conséquence « personne ne fût privé des droits civils et politiques pour cause de race ou de couleur. » C’était proposer l’égalité immédiate et absolue des deux races. M. Sumner a prouvé victorieusement que cette loi radicale était seule d’accord avec les principes de la déclaration de l’indépendance et du préambule de la constitution des États-Unis, — qu’en outre elle résultait naturellement de l’obligation imposée au congrès de garantir à tous les états de l’Union une forme de gouvernement vraiment républicaine, et du droit qu’il avait de pourvoir par des lois nouvelles à l’application sincère de l’amendement constitutionnel abolissant