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encore à s’en faire un ennemi. Le cœur leur manqua à la dernière heure, et sept voix républicaines abandonnèrent la loi qu’elles avaient votée. Il ne s’en fallait pourtant que de deux voix pour qu’elle fût admise, et l’on savait la majorité républicaine de la chambre prête à répondre au veto par un insultant défi. Ce revers inattendu des radicaux n’en suffit pas moins pour retourner la fortune. Leur leader éloquent et intrépide, M. Thaddeus Stevens, s’en vengea par des paroles amères et par la menace d’une exclusion plus rigoureuse des représentans du sud. Le sénateur Wade proposa dans le sénat un amendement constitutionnel interdisant la réélection du président des États-Unis, sans cacher qu’il voulait en faire une mesure de représailles contre l’auteur du veto. Le sénat se donna même l’inutile plaisir de repousser en masse toutes les nominations administratives soumises à son contrôle.

La victoire du président Johnson n’en fut que plus éclatante et plus humiliante pour le congrès. Il avait soutenu sans fléchir l’assaut terrible que les radicaux lui avaient préparé. Ils avaient jeté tout leur feu, usé toutes leurs munitions, et le président Johnson était encore debout, aussi ferme que par le passé. La cour suprême, malgré les efforts de son président, M. Chase, pour y faire triompher les doctrines radicales, venait de donner raison à la théorie constitutionnelle de M. Johnson en déclarant que les états du sud étaient non pas des territoires, mais des membres de l’Union fédérale, et qu’ils pouvaient renouer leurs anciennes relations judiciaires avec les cours des États-Unis. — Enfin le veto semblait accueilli par le peuple avec d’unanimes transports de joie. Partout on faisait des meetings, des discours, des illuminations, des réjouissances. On envoyait au président des députations et des adresses pour le féliciter de son courage, on tirait des salves d’artillerie pour célébrer son triomphe. La législature du Missouri avait d’abord infligé un blâme au président : le peuple de Jeffersonville, assemblé tumultueusement devant le Capitole, la força de voter séance tenante une salve de vingt et un coups de canon et une adresse en son honneur. On ne savait pas encore ce que pensait le peuple des campagnes, attaché de longue date à la politique républicaine et généralement fidèle aux radicaux ; mais la populace des grandes villes saluait le veto du président comme une déclaration de guerre contre les noirs. L’animosité des races se réveilla soudain avec une force inattendue : on recommença à maltraiter les gens de couleur, à les outrager, à les chasser des lieux publics, à piller et à brûler leurs maisons. On put se croire un instant à la veille d’une guerre sociale, et Frederick Douglas, l’orateur du parti nègre, déclara, dans un meeting où il vint parler sous la protection de