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sénat. Sous les ordres de ces officiers devait se mouvoir tout un peuple de surveillans et de sous-commissaires, trois ou quatre mille fonctionnaires occupés uniquement à pourvoir au bien-être des affranchis et des réfugiés. En même temps le gouvernement s’engageait à leur louer, à leur vendre, à leur distribuer des terres, à leur assurer pour trois ans la jouissance de certaines propriétés confisquées qu’ils avaient occupées depuis la guerre. C’était un immense et permanent hôpital qu’on établissait dans tous les états rebelles au profit de la propagande, radicale et aux dépens du trésor public.

De toutes les mesures que le congrès avait prises, celle-ci était pourtant la plus douce et la plus utile. L’institution du bureau des affranchis ne s’appuyait pas sur des principes ni sur des raisons idéales ; elle était la seule protection efficace qu’on eût donnée aux populations noires contre l’animosité des maîtres d’esclaves, et le président Johnson en avait reconnu l’intérêt pratique quand il avait concouru lui-même à la fonder. Peut-être, en des temps plus calmes, se serait-il contenté de refuser sa sanction à quelques clauses imprudentes et exagérées de la loi nouvelle, et d’en demander la révision au congrès ; mais, blessé de l’hostilité personnelle de la faction radicale, irrité de tant de projets et de résolutions visiblement dirigés contre sa politique, il se décida cette fois à prendre une revanche et à mettre son veto sur la loi. Il assembla ses ministres en conseil, et sauf MM. Harlan et Stanton, tous furent d’avis qu’il avait raison. Son message fut porté le lendemain au congrès. Quand le président refuse sa signature à une loi déjà votée, la constitution ordonne qu’elle soit remise en délibération dans les chambres, et admise, en dépit de sa résistance, si elle réunit les deux tiers des suffrages. Or le président jouait gros jeu. La majorité des radicaux n’était guère douteuse, et s’ils faisaient encore passer la loi, il n’allait avoir d’autre alternative que l’abdication de la présidence ou l’humiliation d’obéir après avoir résisté.

Il fut sauvé par l’opinion publique. Le congrès, nommé il y a deux ans sous l’influence des passions guerrières, ne représente plus aussi fidèlement qu’autrefois les sentimens vrais du pays. Le président Johnson savait bien qu’il s’appuyait sur une puissance plus grande, et que, s’il succombait pour un jour, sa défaite ne serait pas de longue durée. Eux-mêmes, les radicaux, tout en votant des mesures extrêmes, sentaient le sol se dérober sous leurs pieds, et commençaient à se demander avec inquiétude si les élections du mois de novembre ne leur seraient pas contraires. Le veto du président, soutenu par de bruyantes manifestations populaires, put donc intimider les républicains modérés du sénat qui hésitaient