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domicile, qui limitent encore les droits politiques, à abaisser enfin l’intelligence et la dignité du corps électoral au profit de leur influence dans le congrès. Déjà les femmes s’agitaient pour faire enfin valoir leurs droits si obstinément méconnus, et les sénateurs étaient assaillis de pétitions séduisantes qu’ils envoyaient dormir sur la table de la commission des quinze, côte à côte avec celles des noirs affranchis. Aussi M. Thaddeus Stevens proposa-t-il de garder la population réelle pour base de la représentation nationale, mais avec cette restriction qu’on ne compterait pas les classes exclues des droits politiques pour raison de race ou de couleur. Cette rédaction était la plus sage, et ce fut celle qui en définitive fut votée par la chambre. On va voir par quel coup de théâtre les radicaux surent donner à ce vote le caractère d’une manifestation éclatante et d’une levée de boucliers contre le président.

M. Johnson n’approuvait pas la mesure. Il pensait, non sans raison peut-être, qu’il ne fallait pas jouer avec la constitution, et que cette grande abondance d’amendemens proposés et discutés dans le congrès (c’était le quatrième depuis l’ouverture de la session) n’était bonne qu’à discréditer la loi fondamentale et à ruiner son autorité dans l’esprit du peuple. Sur la question même, il croyait qu’en fait d’amendemens le plus simple était le meilleur, et que, si l’on touchait à la constitution, il valait mieux fonder tout de suite la représentation sur le nombre des électeurs. Il eut le malheur de le dire à un sénateur de ses amis dans une conversation publique qui fut racontée par les journaux. Le lendemain, Thaddeus Stevens se lève pour le dénoncer. « Cette proclamation, dit-il, cet ordre que nous donne l’homme de la Maison-Blanche à l’heure même où le congrès légifère, est une violation des privilèges de la chambre. Il y a quelques siècles, adressée par un roi d’Angleterre à son parlement, elle lui aurait coûté la tête….. Mais, messieurs, nous n’aurons pas à tourmenter le président de notre amendement ; si le congrès l’adopte, nous n’avons pas besoin de le lui soumettre et de solliciter son approbation. » La chambre tout émue se cabra sous ce coup de cravache assené d’une main vigoureuse ; l’amendement fut voté séance tenante, et le président dévora l’outrage.

Restait la question du bureau des affranchis. Le sénat et la chambre avaient voté, sous l’influence des radicaux, une loi qui donnait à cette institution temporaire un caractère nouveau de permanence et de durée. Les états du sud étaient divisés en douze districts, occupés chacun par un commissaire dont la nomination, comme celle de tous les autres fonctionnaires administratifs ou militaires, devait être régulièrement soumise à l’approbation du