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Caroline, il y eut des scènes de violence entre les milices d’états trop tôt rétablies et les officiers fédéraux du bureau des affranchis ; le capitaine Healy fut tué et mis en morceaux. Dans la Caroline du Nord, la home guard, qui n’avait jamais été dissoute, se mit à exercer en face du bureau certaines attributions judiciaires et à prêter main-forte à la tyrannie des planteurs. Le gouverneur Perry, de la Caroline du Sud, disait franchement son espérance : il adjurait ses concitoyens d’abolir l’esclavage pour rentrer dans l’Union ; mais, sitôt cette formalité remplie, il avertissait le nord qu’il ne fallait plus rien attendre, « car, disait-il, ce pays est à l’homme blanc, et le gouvernement lui appartient[1]. » Comment s’étonner d’entendre tenir ce langage à un rebelle, quand le président Johnson ne craignait pas de répéter lui-même ce triste lieu-commun des partisans de l’esclavage ?

Ces désordres et ces crimes ne devaient pas tous être attribués au trouble temporaire qui est toujours inséparable des transitions difficiles : c’étaient la plupart du temps les conséquences naturelles d’une législation que partout on s’efforçait de maintenir ou même d’aggraver. Dans l’Alabama, la convention constitutionnelle, sollicitée pourtant par le gouverneur Parsons, refusa d’admettre le droit des nègres au témoignage, de telle sorte que la seule place du noir en justice restait le banc des accusés. — Un nègre est poursuivi par un blanc ; vingt noirs attestent son innocence : on l’envoie pendre sur le témoignage du blanc. — Dans le Mississipi, le gouverneur Humphreys, élu par le peuple, usurpe l’autorité avant de la faire confirmer par le président, et, entrant en antagonisme avec le gouverneur provisoire Sharkey, il envoie à la législature un message où il lui conseille de faire des lois qui assurent l’infériorité éternelle des noirs. Un journal du même état, le Jackson-News, réclame une législation qui fasse sentir aux « ex-esclaves leur infériorité naturelle, » et menace ouvertement de la loi de Lynch les northerners qui pousseront le noir à résister à son ancien maître. Ailleurs, en Virginie, on persécute les unionistes, on brûle leurs récoltes, on pille leurs maisons, on coupe les jarrets de leurs chevaux. Dans la législature de l’Alabama, on a failli voter une loi sur le vagabondage qui était le chef-d’œuvre de la férocité : le coupable, homme ou femme, devait être suspendu par les pouces deux heures de suite pendant trois jours et recevoir pendant le même temps cinquante coups de fouet par jour ; en cas de récidive, la punition était doublée. Cette loi se combinait avec d’autres mesures qui

  1. « This is a white man’s country, and a white man’s government. » C’est aussi le propos tenu par le président au gouverneur abolitioniste Fletcher, du Missouri,