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de la guerre civile américaine et le rôle véritable qu’y joue cette question multiple et obstinée de l’esclavage. Les uns ne veulent voir dans ce conflit compliqué qu’une pure lutte de principes et d’idées morales, et ils font des hommes du nord autant de propagateurs généreux et désintéressés de philosophie humaine. Les autres, bravant le bon sens et les faits irrécusables, prétendent que l’esclavage n’était pour rien dans la guerre, que les gens du sud sont les vrais amis de la race noire, et les partisans de l’abolition ses vrais exterminateurs. Cela est d’une fausseté si révoltante qu’on peut à peine croire à la bonne foi de ceux qui le soutiennent. Ne sait-on pas trop bien que les fondateurs mêmes de l’Union américaine avaient prévu déjà les dangers d’une institution qu’ils essayaient de limiter sans oser la détruire, et que dans ses vieux jours le grand Washington lisait et relisait sans cesse, avec une assiduité qui témoignait de son inquiétude, un traité sur les effets de l’esclavage ? Depuis soixante ans, cette question fatale était le seul nuage qui assombrît l’avenir de la république, et combien de fois n’a-t-il pas failli éclater avant le jour marqué par la destinée ! Dès l’année 1825, nous voyons la chambre des représentans de la Géorgie menacer les états du nord de se séparer d’eux, s’ils persistent dans la politique d’abolition de l’esclavage[1]. Plus tard, quand le mal se fut aggravé, et que les quelques milliers d’esclaves dont l’avenir commençait à inquiéter le patriotisme austère de Washington furent devenus une population de cinq millions d’âmes, que signifièrent toutes ces querelles qui s’élevaient entre le sud et le nord ? Que signifiaient la question des droits des états, celle des esclaves fugitifs, celle des territoires, et cette question même des tarifs où l’on a voulu voir la cause unique de la guerre, sinon toujours l’esclavage, principe fatal de discorde entre deux sociétés qu’il tenait divisées par les intérêts et par les mœurs ? Il y a toujours eu entre elles une rivalité commerciale si intimement unie à la difficulté de l’esclavage, qu’elle a fini par en devenir inséparable. La dispute des tarifs n’était sans doute pas moins importante et

  1. Je crois devoir citer quelques passages de ces résolutions curieuses, pour l’instruction de ceux qui pensent que l’esclavage n’est pas la cause véritable de la guerre civile, et que les états du sud n’ont pas été les premiers agresseurs : « Le moment approche où les états du sud devront se confédérer et dire ensemble à l’Union : Nous ne voulons pas soumettre plus longtemps nos droits acquis aux insinuations perfides d’hommes méchans dans l’enceinte du congrès, ni nos droits constitutionnels aux interprétations obscures et forcées d’ambitieux assis sur les bancs judiciaires…. Ce que furent Athènes, Sparte, Rome, nous voulons l’être : elles avaient des esclaves ; nous en avons….. Qu’il soit donc résolu qu’après avoir épuisé les argumens, nous recourrons aux armes, et qu’à l’appui de cette résolution nous engageons nos vies, nos fortunes et notre honneur. »