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qu’un fou ou un imbécile[1]. » Ces propos injurieux n’étaient pas de nature à amollir le cœur du président Johnson, ni à lui inspirer des résolutions calmes. Cependant sa politique inclinait de plus en plus à une mansuétude extrême, et que déjà l’on commençait à trouver exagérée. Tout en lançant sa redoutable proclamation d’amnistie, tout en refusant obstinément de la modifier, il usait envers les personnes d’une douceur au moins égale à la violence de son langage. Tout pardon sollicité par un rebelle, si grand propriétaire qu’il fût du reste, si notoire qu’eût été la part qu’il avait prise à la sécession, était aussitôt accordé. Quand l’attorney de la cour de circuit fédérale de Norfolk, en Virginie, mit en accusation cinquante-sept rebelles, au nombre desquels se trouvaient le général Lee et tous les chefs civils et militaires du gouvernement confédéré, le président eut le courage d’ordonner sommairement qu’on arrêtât l’affaire en dépit de l’obstination du juge Underwood et de la légalité même, qui voulait qu’on y donnât suite. On eût dit qu’il n’avait fait tant de menaces que pour mieux tenir les vaincus en bride et mieux faire valoir à leurs yeux le pardon qu’ils tenaient de sa clémence. Il est vrai que l’opinion publique s’était radoucie autant que le président lui-même ; les chefs du parti abolitioniste, Gerrit Smith, Horace Greeley, Ward Beecher, et jusqu’à Wendell Phillips, tous, excepté l’impitoyable Thaddeus Stevens, prêchaient au peuple américain la clémence avec d’autant plus d’autorité qu’on ne les avait pas vus, comme certains copperheads, racheter la veille par des cris de fureur indécente et sanguinaire une longue complicité avec les ennemis publics. La Tribune, journal de M. Greeley, disait, en parlant du procès de Davis et des autres prisonniers politiques de Fortress-Monroë, qu’on ne devait mettre à mort que deux coupables pour complicité dans la rébellion : l’esclavage et les state-rights.

M. Johnson montrait plus d’indulgence encore. Sa politique personnelle commençait à se dessiner avec une netteté qui inquiétait les abolitionistes et faisait ouvrir aux conservateurs de grands yeux étonnés. Dès la fin du mois de juin 1865, il avait fait les plus engageans sourires à ceux des hommes du sud qui venaient lui demander le maintien de leurs libertés locales. La première députation de la Caroline du Sud, l’état le plus compromis et le plus obstiné dans la rébellion, reçut la réponse la plus encourageante ; le président

  1. En même temps le président Johnson recevait tous les jours des suppliques de ce genre : « Monsieur le président, cher monsieur, nous vous demandons respectueusement de faire pendre M. le président Davis, parce qu’il doit être pendu. Si vous ne le pendez pas, il ne manquerait pas d’hommes au Kansas pour le faire à votre place. Faites-nous savoir, s’il vous plaît, vos intentions. Très respectueusement,
    « Beaucoup de citoyens. »