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souverainement en leur absence que s’ils avaient concouru encore à leurs décisions. Le gouvernement confédéré n’avait pas eu d’existence réelle : ce que l’on appelait ainsi n’était qu’un conciliabule d’insurgés et d’usurpateurs. — Il suffisait donc d’annuler tous les actes accomplis depuis la guerre sous l’autorité du prétendu gouvernement confédéré, de répudier la dette confédérée et les dettes contractées pendant la guerre par les gouvernemens particuliers des états du sud[1], de remplacer tous les fonctionnaires des gouvernemens d’état élus depuis la guerre, d’accepter enfin l’abolition de l’esclavage et les lois et décrets du congrès et du président de l’Union, — et les états du sud rentraient en possession de leurs prérogatives constitutionnelles et de leurs libertés locales ; ils pouvaient nommer des gouverneurs, des législateurs, envoyer des sénateurs et des députés au congrès. La rébellion avait suspendu chez eux la vie nationale, mais elle n’avait pu rien détruire, et c’eût été presque la reconnaître que de les traiter en territoires et en pays conquis.

Cette théorie abstraite n’avait pas, comme on peut le croire, été conçue en pur amour des systèmes : comme l’autre, elle s’appuyait sur des argumens d’une utilité pratique et sensible en même temps que sur les passions d’un parti. Les démocrates, instruits et changés par les événemens, aimaient ainsi à se couvrir d’un voile d’unionisme austère pour tendre aux états du sud une dernière planche de salut. Les plus raisonnables d’entre les gens du sud saisissaient avec joie cette occasion de recouvrer d’abord dans leur pays l’indépendance de leurs gouvernemens particuliers et de regagner peut-être à la longue leur ancienne influence sur les affaires générales. Enfin bon nombre de républicains modérés, désireux avant tout d’obtenir la conciliation et l’oubli des discordes civiles, pensaient qu’une politique d’exclusion et de rigueur systématique n’était bonne qu’à les entretenir. On ne pouvait accomplir dans les états du sud des réformes durables qu’avec le concours et de l’aveu même du pays. Le moyen de les pacifier et de leur faire accepter le joug de l’Union comme un bienfait n’était pas de les gouverner par la force et de les tenir asservis sous une domination quasi étrangère. Et d’ailleurs, dût-on y employer pendant dix ans trois cent mille hommes, était-il bien possible de faire respecter les lois du congrès par des populations clair-semées sur un immense territoire, en conspiration perpétuelle pour les braver ou les enfreindre ? Dans tous les cas, il fallait pour cela une grande armée permanente, un perpétuel pied de guerre, une augmentation plutôt qu’une diminution des

  1. On ne pouvait d’ailleurs souffrir que les citoyens loyaux des états rebelles fussent taxés pour soutenir le crédit de la rébellion.