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d’un long voyage, n’avait eu d’autre tort que d’user imprudemment d’un cordial trop puissant pour sa santé débile. Son trouble même en cette occasion ne prouvait-il pas jusqu’à l’évidence ses habitudes de sobriété ?

Voilà ce que disaient pour le justifier ses amis personnels et tous les bons citoyens jaloux de le soutenir ; mais les démocrates et les sécessionistes ne cessaient de l’injurier et de lui jeter à la tête la séance du 4 avril. Ce souvenir de la veille, dont l’impression pénible n’avait pu s’effacer aussi vite en Europe qu’aux États-Unis, les souvenirs plus éloignés, mais récens encore, de son administration du Tennessee, la rudesse trop énergique de son langage, enfin les principes démagogiques contenus dans sa proclamation d’amnistie et qu’il se chargeait lui-même d’énoncer sans détour, c’en était assez pour inquiéter les amis de l’Union américaine et leur faire craindre que le grand exemple de mansuétude et de patriotisme qu’avait donné le président Lincoln ne demeurât stérile pour l’homme farouche et opiniâtre qui avait recueilli son héritage.

Ainsi s’annonçait le politique éminent à qui allait être confiée la tâche délicate de la reconstruction des états du sud. On va voir comment les circonstances, la nécessité, l’expérience, peut-être aussi le sentiment de sa lourde responsabilité devant ses contemporains et devant l’histoire, ont modifié cet esprit intraitable jusqu’à en faire l’idole des démocrates conservateurs et l’ennemi quelquefois aveugle des réformes radicales les plus nécessaires, — comment enfin l’acharné démagogue, l’ancien garçon tailleur du Tennessee a pris son rang d’emblée parmi les plus grands et les plus habiles présidens des États-Unis.


II

Tout n’était pas dit le jour où la bannière fédérale flotta de nouveau sur le capitole de Richmond, Les plus grandes difficultés restaient encore à vaincre. Il fallait achever résolument la révolution commencée par la guerre civile, et imposer l’abolition de l’esclavage aux états du sud. Il fallait non-seulement soumettre les populations vaincues, mais les redresser après les avoir soumises, les ramener dans le sein de l’Union, relever le pays de ses ruines, lui faire accepter sincèrement les grandes réformes qu’on allait accomplir, lui faire sentir le frein d’une autorité sérieuse sans se montrer pourtant ennemi de ses libertés. La politique allait succéder aux armes, et son œuvre, pour être moins bruyante, moins glorieuse peut-être que la guerre, n’en était que plus dangereuse et plus difficile.

Il y avait deux politiques à suivre à l’égard des états rebelles.