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les principaux chefs rebelles, il les accusait publiquement, avec une véhémence au moins téméraire, d’avoir pris une part secrète à l’assassinat du 14 avril ; il mettait enfin à prix leur capture et échangeait avec eux dans les journaux une sorte de correspondance injurieuse fort peu digne de son rang. Ce fut surtout dans sa proclamation d’amnistie que se montrèrent le plus les penchans du démocrate égalitaire et les vieilles rancunes de l’homme du peuple émancipé.

Le président Lincoln avait fait pendant la guerre une proclamation d’amnistie offrant le pardon plein et entier de leurs crimes à tous les rebelles qui voudraient rentrer sous l’autorité des États-Unis, et prêter serment d’obéissance en garantie de leur fidélité future. Cette offre si généreuse pouvait être faite pendant la guerre, alors qu’elle était encore un moyen de pacification et qu’elle servait à affaiblir les rebelles en ramenant au bercail les brebis égarées ; mais l’amnistie du président Lincoln tombait naturellement après la guerre, car elle n’était promise qu’en récompense d’un retour volontaire à l’Union, et il eût été trop commode aux rebelles obstinés qui avaient résisté jusqu’à la dernière heure de se prévaloir après leur défaite d’une grâce qu’ils n’avaient pas méritée. Le nouveau président avait donc tout pouvoir de pardonner ou de punir, et il était bien libre de refuser le bénéfice de son amnistie nouvelle à telle classe ou à tel individu qu’il lui plaisait d’excepter. Il faut convenir pourtant que le principe sur lequel il faisait reposer la distribution de ses grâces était un principe mauvais et dangereux.

Tout le monde connaît les termes de cette amnistie. Le président ne se contentait pas d’en refuser le bénéfice à diverses classes de citoyens compromis dans le service civil ou militaire de la rébellion suivant leur rang, leur importance, la part plus ou moins active qu’ils avaient prise aux affaires du gouvernement confédéré ; faisant de la richesse même un crime, il excluait en masse tous les possesseurs de plus de 100,000 dollars, comme si la trahison était seulement une offense vénielle pour les pauvres, pour tous ceux qui n’avaient pas 100,000 dollars, mais devenait un crime irrémissible pour quiconque avait atteint le chiffre redoutable au-delà duquel on était un ennemi public. M. Johnson eut beau dire à une