Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/617

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

menaçant la Virginie. Il ne restait plus aux rebelles que deux armées, celle de Johnston et celle de Lee, assez fortes peut-être pour résister ensemble, mais trop faibles pour tenir tête séparément à l’ennemi. Lee, qui depuis longtemps déjà désespérait de la guerre, comprit que son unique chance de salut était de donner la main à Johnston en se retirant vers Danville. C’est alors que Grant frappa le dernier coup. Jetant le gros de son armée sur la gauche, il rejoignit l’aile droite de Sheridan, coupa le chemin de Danville, et ferma la retraite à Lee. En même temps il faisait à travers les lignes confédérées dégarnies d’hommes une trouée qui le menait jusqu’à Richmond. Lee recula précipitamment, livrant presque sans combat la capitale ; mais, se voyant emprisonné de toutes parts, il vint lui-même demander au général Grant une capitulation qui fut généreusement accordée. On sait les événemens qui suivirent : la fuite du président Davis, ses efforts pour reconstituer son gouvernement à Augusta, dans la Géorgie, son espoir de le transporter au-delà du Mississipi et d’y réorganiser la résistance, — l’usurpation du général Sherman sur l’autorité civile, son armistice avec Johnston, ses négociations désavouées par le président, — la reddition enfin de l’armée de Johnston aux mêmes conditions que celle de Lee. Le président Lincoln, accouru au premier bruit de la victoire, n’apportait à Richmond ni confiscations, ni proscriptions, ni arrêts de mort : il venait au contraire les mains pleines de grâces et de pardons. On disait même qu’il se proposait d’offrir une amnistie générale à tous les rebelles, quand il tomba victime du plus lâche assassinat dont l’histoire ait gardé le souvenir.

Tout le monde connaît les détails de cette lamentable tragédie. Le 14 avril au soir, le président devait se rendre au théâtre de Ford en compagnie du général Grant et d’une partie du conseil des ministres. Pour la première fois depuis quatre ans, il avait le cœur léger et l’âme satisfaite. Il touchait à la récompense de ses longs efforts et de ses secrètes angoisses. L’œuvre de sang qui avait toujours tant coûté à son cœur charitable, la guerre civile, était finie. Il allait maintenant se dévouer à une œuvre de paix et de mansuétude, et consacrer sa seconde présidence à guérir les blessures que la première avait faites. Cette joie pourtant ne devait pas lui être donnée : il fallait encore une victime au fanatisme de l’esclavage, un martyr à la cause du patriotisme et de la liberté. Retenus par des affaires pressantes, le lieutenant-général et les ministres ne purent accompagner le président au théâtre de Ford. Seul, M. Lincoln, quoique accablé de travail, ne crut pas pouvoir se dispenser d’y paraître, car sa présence était annoncée, et il voulait tenir parole au public. On l’y attendait bien en effet, et tout était préparé