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La vanité, du reste, n’était pas seule à trouver son compte dans les dignités municipales, et l’on pouvait en tirer des avantages plus sérieux. Elles étaient pour les ambitieux qui rêvaient de grandes destinées la première étape vers des honneurs plus importans. Être le premier dans son municipe amenait souvent à devenir quelque chose dans l’état. On sait que, contrairement aux usages de la plupart des nations anciennes, Rome n’a jamais fermé ses portes à l’étranger. Au lieu de s’isoler comme les autres dans une nationalité jalouse, elle appelait à elle l’élite des populations vaincues. Même dans les premiers temps, quand elle répugnait encore à étendre le droit de cité, elle accordait plus facilement, ce qu’on appelait le droit latin à ceux qui souhaitaient se rapprocher d’elle ; or la principale prérogative des villes qui jouissaient de ce droit, c’était que tous ceux qui avaient exercé les premières magistratures dans ces villes devenaient citoyens romains en sortant de charge. De cette façon Rome s’enrichissait de tout ce qu’il y avait d’honnête et de distingué dans les pays qu’elle avait soumis sans en prendre la lie. Ainsi se comblaient chez elle les vides qu’y faisait la guerre, et à la place des anciennes familles qui s’éteignaient, des familles, nouvelles venaient sans cesse rajeunir ce vieux tronc épuisé. Vers la fin de la république, les Italiens remplissaient le sénat. Antoine, dans son orgueil de vieux Romain, s’étant moqué d’Octave parce que sa mère était d’Aricie : « Ne dirait-on pas, répondait Cicéron, qu’il parle de Tralles ou d’Éphèse ? Vous voyez avec quel dédain il traite ceux qui sont nés dans les municipes, c’est-à-dire à peu près tous les sénateurs, car combien y en a-t-il qui soient de Rome ? » Il y en eut moins encore sous l’empire, le pouvoir, absolu est de sa nature un grand niveleur. De la hauteur où il se place, il n’aperçoit plus de différence entre tous ceux qui lui sont soumis. Les distinctions lui déplaisent, et il cherche toujours à établir au-dessous de lui l’égalité dans l’obéissance. Ce fut la tendance de l’empire romain comme de tous les gouvernemens despotiques, et le monde en profita. Les empereurs affectaient de traiter tous leurs sujets de la même façon. Peu à peu les privilèges s’effacèrent, et il ne fut plus indispensable pour avoir accès aux premières dignités d’être né à Rome ou dans les environs. La république avait laissé entrer les Italiens dans le sénat ; l’empire y admit les provinciaux. Rien n’empêchait les fils de duumvirs de petite ville, en quelque pays qu’ils fussent nés, de concevoir de grandes espérances. Ceux qui se sentaient l’ambition et le talent d’aller plus loin que leurs pères pouvaient l’essayer, et ils y parvenaient souvent. Ils se poussaient vite dans les légions, surtout quand ils appartenaient à des familles anciennes et considérées. S’ils étaient braves et intelligens, ils