Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/582

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bourgade ignorée, puisqu’on était nommé par les suffrages libres de ceux qui l’habitaient. Les poètes avaient bien tort de parler avec tant de dédain des pauvres prêteurs de Fundi ou des édiles déguenillés d’Ulubres : il y avait après tout plus d’honneur à être l’élu de ses concitoyens, même à Ulubres et à Fundi, qu’à mériter le choix de l’empereur, quand l’empereur s’appelait Tibère ou Néron. Voilà pourquoi les magistratures des municipes étaient si disputés. Les ambitions y étaient ardentes et les luttes acharnées. Les Romains, qui voulaient rire, appelaient ces scènes d’élection des tempêtes dans un verre d’eau, flucius in simpulo. C’étaient en vérité des tempêtes. La brigue s’en mêlait quelquefois, et les partis étaient si animés que, faute de pouvoir s’entendre, on était réduit à demander à l’empereur, ce magistrat qu’on ne pouvait pas nommer soi-même.

Il est resté à Pompéi des traces très curieuses de ces fièvres d’élection. Comme on n’avait pas alors de journaux pour prôner les candidats qu’on préférait ou pour attaquer ceux qu’on n’aimait pas, on écrivait naïvement ses préférences ou ses antipathies sur les murailles. C’était un usage si général qu’en certains pays les propriétaires défendaient la blancheur de leurs maisons contre cet envahissement d’affiches électorales. « Je prie, disaient-ils, qu’on n’écrive rien ici. — Malheur au candidat dont le nom sera écrit sur ce mur ! puisse-t-il ne pas réussir ! » Il est probable que les propriétaires de Pompéi étaient plus accommodans, car on a retrouvé un très grand nombre de ces affiches sur les maisons, et l’on en découvre tous les jours de nouvelles. La formule n’est pas très variée : c’est toujours une corporation ou un particulier qui recommande son protégé aux suffrages des électeurs. Tantôt ils présentent humblement leur requête : « je vous prie de nommer édile A. Vettius Firmus ; Félix le souhaite. — Les marchands de fruit désirent avoir Holconius Priscus pour duumvir. » Tantôt ils ont l’air décidé de gens qui se croient importans et qui pensent que leur exemple en entraînera beaucoup d’autres : « Firmus vote pour Marcus Holconius, — les pêcheurs nomment Popidius Rufus. » Ils n’oublient pas de mentionner les vertus de celui qu’ils proposent. Ils affirment toujours qu’il est distingué, intègre, digne des fonctions qu’il demande, né pour le bien de la république, etc. « Nous appelons, dit Sénèque, tous les candidats d’honnêtes gens. » C’était une habitude, et ces éloges intéressés ne trompaient personne. A Pompéi, tout le monde a ses préférences et les indique. Il y a le candidat des pâtissiers, des cuisiniers, des jardiniers, des marchands de salaison, des laboureurs, des muletiers, des foulons, et, ce qui est plus surprenant, des joueurs de balle et des gladiateurs. Il y a