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faisaient pas faute d’en rire. C’est ce que prouvent les titres de quelques-unes de leurs pièces, et les courts fragmens que nous en avons conservés. Pomponius et Novius s’étaient amusés plus d’une fois à peindre les mésaventures d’un candidat. Il s’agissait sans doute des élections de quelque petit municipe : les Romains n’auraient point souffert qu’on se moquât de celles de Rome. Dans une pièce intitulée la Sétinienne, le poète Titinius avait mis sur la scène une de ces provinciales endurcies qui s’imaginent facilement que le monde entier tourne autour de leur village. C’est à lui qu’elles ramènent tout ; elles croient que tout est fait pour lui. Celle-là, pendant qu’on lui montre Rome, ne songe qu’à son cher Sétia. « Ah ! répond-elle à ceux qui lui font voir le Tibre, quel service on rendrait au territoire de Sétia, si on pouvait l’y faire couler ! » Par malheur, ce ne sont là que des fragmens bien courts ; ces pièces ont péri à peu près entièrement, et le peu qui nous en reste ne fait qu’exciter notre curiosité sans la satisfaire.

Si nous nous adressons aux écrivains qui nous sont parvenus tout entiers, nous ne sommes guère plus heureux. En général, ils ne nous parlent de la province que pour nous dire la répugnance profonde qu’elle leur cause. Elle n’était pas plus à la mode alors qu’aujourd’hui parmi les lettrés et les beaux esprits. Tous déclaraient d’un commun accord qu’il n’était pas possible de vivre hors de Rome. Sans doute on était bien forcé de reconnaître que c’était un des séjours les plus malsains du monde. La Fièvre y avait eu des autels dès le règne de Numa, et les prières qu’on lui faisait depuis si longtemps ne la désarmaient guère[1]. Sénèque avoue qu’il suffisait de quitter un moment cette lourde atmosphère de poussière et de fumée pour se sentir mieux portant ; mais on ne la quittait jamais volontiers. Cicéron, pendant qu’il y vivait tranquille, ne se gênait pas pour dire, même dans ses discours publics, que c’était une ville fort laide et très mal bâtie, que les maisons étaient trop hautes, et les rues trop étroites. Il changea d’opinion dès qu’il fut forcé d’en sortir. « Qu’elle est belle ! » s’écriait-il en y rentrant : il lui suffisait d’en avoir été banni quelques mois pour la trouver admirable. Cependant il la quitta encore quelques années plus tard pour aller gouverner la Cilicie ; mais cette fois aussi il se mit à la regretter aussitôt qu’il l’eut perdue de vue. Il n’était pas arrivé dans sa province qu’il s’occupait déjà des moyens d’en

  1. On peut voir, sur l’insalubrité de Rome, le premier chapitre de l’excellent ouvrage intitulé Sittengeschichte Roms, qu’un savant professeur de Kœnigsberg, M. Friedlœnder, a récemment publié. C’est un livre plein de renseignemens curieux sur la vie romaine au temps de l’empire. Le premier volume vient d’être traduit en français par M. Vogel sous le titre de Mœurs romaines du règne d’Auguste à la fin des Antonins.