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qui as été un instrument d’élite sous la main divine pour pousser l’étude des lettres saintes plus loin qu’elle n’avait jamais été ! » Cela est beau, parce que cela était sincère et vrai : Jérôme en dit davantage encore en se retirant de la lice.

Sur ces entrefaites débarquèrent à Joppé deux évêques gaulois, éloignés de leur pays par les troubles politiques, Héros d’Aix et Lazare de Marseille, qui avaient pu observer de leurs yeux dans les provinces de la Narbonnaise la marche souterraine et les allures tortueuses du pélagianisme. Ils exhortèrent Orose à s’unir à eux pour prendre corps à corps Pélage lui-même, puisqu’il était là sous leurs coups. Plein de cette idée, l’Espagnol, jeune et ardent, se munit de plusieurs pièces qu’il avait rapportées des controverses d’Afrique, et vint trouver l’évêque de Jérusalem pour l’éclairer sur les dangers d’une hérésie que sa mollesse laissait propager. Jean parut médiocrement touché du zèle du jeune lévite et de l’admonition des évêques gaulois : « que lui voulait-on ? était-ce une leçon qu’on prétendait lui donner, à lui qui, connaissant Pélage, avait pu juger ses principes ? » C’est dans ce sentiment qu’il accueillit la démarche d’Orose. Comme celui-ci insistait et qu’une partie du clergé de Jérusalem témoignait sa méfiance à propos du refus de l’évêque, Jean consentit à ouvrir dans l’église de la Résurrection une conférence où Pélage serait entendu contradictoirement avec ses adversaires. Au jour marqué, la conférence eut lieu, et le récit que nous en donne Orose passe à bon droit pour un des documens ecclésiastiques les plus curieux du Ve siècle.

L’assemblée assez nombreuse ne se composa que de prêtres ; aucun évêque ne fut appelé à y siéger, hormis Jean de Jérusalem, qui s’en adjugea la présidence, et cette absence d’évêques avait pour but d’écarter tout d’abord les deux prélats gaulois, témoins oculaires de ce qui se passait en Occident. Non loin de lui, à une des places d’honneur, Jean avait fait siéger un laïque, Domninus, ancien duc de province, ancien chef de l’intendance des largesses, à qui ses services avaient valu le rang et le titre honorifique de vicaire des préfets. C’était un homme estimé dans le pays, fort pieux, fort instruit dans les matières de foi, pas assez pourtant pour se démêler des sophismes et des subtilités de la question. Domninus, qui devait aux fonctions qu’il avait remplies une certaine habitude du latin, et à sa suite un petit groupe de prêtres, dont plusieurs portaient des noms à physionomie occidentale, tels qu’Avitus, Vitalis, Passérius, semblent avoir joué dans la conférence le rôle d’interprètes officieux entre les Latins et les Grecs : un interprète officiel avait été institué d’ailleurs pour le même office. On put remarquer aussi l’absence de Jérôme au débat, soit qu’il n’eût pas été convoqué, soit qu’il eût préféré s’abstenir.