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religieuse, il se borna au côté religieux. C’est en vue du dogme chrétien, au nom du symbole de l’église, les Écritures et les ouvrages des pères à la main, qu’il réfute la doctrine du libre arbitre indéfini, plutôt que par la démonstration philosophique, en cela fidèle à sa méthode, qui était de défendre la religion par les Écritures sans risquer de l’égarer à sa suite dans le labyrinthe des systèmes humains. Il fait lui-même cette déclaration dans sa lettre. « J’ai écrit plusieurs petits ouvrages depuis ma jeunesse jusqu’à l’âge où je suis, et j’ai toujours pris à tâche de ne rien affirmer que ce que j’avais appris dans les enseignemens de l’église, suivant plutôt la simplicité des apôtres que les raisonnemens des philosophes. » On retrouve ici la différence de point de vue chrétien et de méthode que nous avions déjà signalée entre Augustin et lui : Augustin partait de la philosophie pour démontrer la religion ; Jérôme croyait que la religion suffisait à sa propre vérité.

La lettre à Ctésiphon fit alors grand bruit, et elle est restée célèbre dans les annales du pélagianisme, soit en Orient soit en Occident. Encouragé par le succès, Jérôme commença des dialogues à la manière de Cicéron, où Pélage et lui, sous des noms empruntés, dissertaient de la nature de l’âme et des limites du libre arbitre, toujours sur le terrain chrétien. Une partie de ces dialogues était achevée déjà lorsque la question du pélagianisme oriental entra dans une nouvelle phase par l’arrivée d’un ami d’Augustin à Bethléem.

Cet ami était un prêtre espagnol nommé Paulus Orosius, qui, des dernières provinces de son pays et « des rivages de l’Océan, » ainsi qu’on disait avec emphase, était allé en Afrique dans la seule intention de voir le grand évêque d’Hippone, comme un de ses compatriotes avait jadis traversé les Alpes pour voir à Padoue le grand historien Tite-Live. Le goût de l’étude et le besoin d’admirer avaient ainsi changé de camp ; on les trouvait maintenant sous le drapeau chrétien, tandis que le paganisme s’éteignait, avec les dernières étincelles de sa gloire, dans le cœur même de ses fidèles. Orose était jeune, passionné pour la science, plus passionné pour les intérêts de la foi qu’il professait. Augustin le retint près de lui une année entière et l’enrôla pour cette sorte d’encyclopédie chrétienne dont il traçait alors le plan dans la Cité de Dieu, et qui avait pour objet la démonstration philosophique et historique de cette thèse, que les lumières, la vraie science, le vrai bonheur des peuples étaient inséparables du vrai christianisme, hors duquel il n’y avait eu pour le genre humain que mensonges, ténèbres et malheur. Il chargea le prêtre espagnol de la partie qui regardait les faits du passé. Sous son inspiration, celui-ci composa en sept livres une histoire du monde qui depuis a servi de type à toutes les histoires chrétiennes, et dont l’idée s’est reproduite de siècle en siècle jusque