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petite église que Rufin encourageait de ses éloges, et à laquelle l’orgueilleuse Mélanie s’était affiliée, quand l’approche d’Alaric l’obligea de fuir. Il se rendit de Rome en Afrique, où sa doctrine, accueillie d’abord avec faveur, même parmi les catholiques, se trouva compromise un beau jour par les témérités de Célestius. Pendant ce voyage, l’hérésiarque sut charmer Augustin, qui lui donna un instant son amitié ; puis, obligé de désavouer le disciple, qui s’élançait trop hardiment vers les dernières conséquences de leur système, et effrayé de la prochaine convocation d’un concile à Carthage, où Célestius était cité, il partit pour Jérusalem, laissant après lui l’Occident pour longtemps troublé. L’attrait qu’il avait exercé sur l’évêque d’Hippone, le solitaire de Bethléem le ressentit à son tour. Il reçut Pélage dans son intimité, et fut longtemps à découvrir le venin caché sous des opinions présentées avec un art infini. Fort de l’apparente approbation de Jérôme, le moine hibernien se mit à endoctriner les fidèles et les prêtres de Jérusalem, y compris leur évêque, ce même Jean dont nous avons parlé dans les récits précédens, et qui montra encore cette fois la même ignorance et la même présomption que jadis. Jean tomba dans une profonde admiration du nouveau docteur et ne parla plus que de libre arbitre, ce qui encouragea Pélage à sortir de sa réserve. Les propositions qu’il émettait avec une assurance de plus en plus grande, rapportées, à Bethléem par la voix publique, étonnèrent d’abord Jérôme, puis l’éclairèrent, et de son regard d’aigle il sonda le but lointain de ces opinions qu’on lui avait si soigneusement voilées.

Des doutes pareils se faisant jour dans beaucoup d’esprits, plusieurs prêtres le supplièrent de s’expliquer hautement, lui en qui on aimait à voir l’oracle de l’orthodoxie. Il se fit longtemps prier par désir ou besoin de repos et finit par composer contre la nouvelle doctrine un traité sous le titre de Lettre à Ctésiphon. Nul de ses livres peut-être ne révèle mieux la merveilleuse acuité de son esprit. Il n’avait, pour asseoir son jugement sur un homme tel que Pélage, que les vagues données qu’il avait pu tirer soit de la rumeur publique, soit des rapports de quelques amis, soit des conversations habilement calculées de ce moine lui-même : des prédications hardies de Célestius, ou des écrits pélagiens qui commençaient à se répandre en Occident, Jérôme ne savait rien ; il ne savait rien non plus des discussions ou des décrets du concile de Carthage. En un mot, les élémens de la question telle qu’elle se débattait en Occident lui étaient complètement inconnus ; il les devina à l’aide du peu qu’il savait. Quelques propositions de Pélage, enveloppées d’ambages et de mystères, lui servirent à reconstruire le pélagianisme tout entier, à signaler ses dangers pour la foi, à fournir des armes contre lui. Dans une question philosophique autant que