leur fortune à la corporation au détriment de leur famille, on était à l’affût des gens riches, on les attirait, on leur tendait des pièges, on les violentait parfois, et telle élection qui paraissait de loin une illumination spontanée de l’esprit divin n’était souvent au fond qu’un ténébreux calcul de Satan. Il faut ajouter que les biens des corporations étaient mis au pillage par les clercs. Quand l’évêque n’avait pas la main ferme, ceux-ci les appliquaient sans scrupule à leur profit, et ces biens servant également à l’entretien des clercs et aux aumônes distribuées par les diacres, le bas peuple se trouvait d’accord avec le clergé et les moines dans le désir de les voir incessamment s’accroître. De là des coalitions, des complots d’une immoralité souvent révoltante, comme celui qui s’ourdissait alors dans l’église d’Hippone contre les hôtes de l’évêque, mais en dehors de lui, quoique non entièrement à son insu.
Un jour qu’une solennité religieuse réunissait les fidèles dans la basilique, Pinianus et Mélanie étant présens, ainsi qu’Alypius, et Augustin siégeant sur son trône épiscopal, dans le fond de l’abside, au moment où les catéchumènes allaient se retirer suivant la règle, le peuple les arrêta, et des voix nombreuses crièrent de divers côtés : « Pinianus prêtre ! Nous voulons Pinianus pour prêtre ! qu’il soit ordonné sur-le-champ ! » Augustin descendit de son siège à ces clameurs, traversa lentement le sanctuaire, et, s’approchant de la barre qui séparait le chœur des nefs, fit signe au peuple qu’il voulait parler. « J’ai promis à Pinianus, dit-il, de ne le point ordonner contre sa volonté ; si en dépit de mon serment vous prétendiez m’y contraindre, je vous atteste que je suis prêt à déposer devant vous mes fonctions épiscopales. » Après ces paroles prononcées au milieu d’un profond silence, mais suivies aussitôt de cris de désapprobation, Augustin reprit le chemin de l’abside et remonta les degrés de l’estrade, non sans de vives appréhensions sur ce qui se préparait, car il connaissait son troupeau, et, de vagues rumeurs d’un complot lui ayant été apportées depuis quelques jours, il avait fait à Pinianus la promesse qu’il venait de déclarer. En effet le tumulte qui éclata bientôt dans la basilique ne peut se comparer qu’à la mêlée d’une bataille. C’étaient de toutes parts des vociférations assourdissantes : des hommes furieux s’agitaient avec des gestes de menace, apostrophant Pinianus et Alypius, qui par prudence firent retraite entraînant Mélanie à leur suite jusque dans l’abside, à peu de distance d’Augustin.
Une masse compacte de peuple pressée autour du chœur finit par faire irruption à l’intérieur ; la barre fut franchie, et une foule de laïques, mêlés aux clercs et aux moines, vint assiéger pour ainsi dire Augustin sur son trône. Il s’établit alors un colloque très animé entre ces gens et lui. « Évêque, lui disaient-ils, si tu ne veux pas