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venues du moine avaient donné l’éveil, on l’épia, et tout fut découvert. La loi monastique armait les chefs des communautés d’un pouvoir absolu que la loi civile tolérait, et sans lequel leurs maisons eussent dégénéré en repaires de désordres ; c’était bien le cas ici d’en invoquer les rigueurs. La religieuse fut enfermée par un arrêt d’Eustochium, Sabinien s’attendait à une peine plus grave ; prosterné aux pieds de Jérôme, dont il embrassait les genoux, il demanda avec larmes merci pour sa vie et le temps de faire pénitence. Jérôme se laissa fléchir, et Sabinien, gardé à vue, paraissait touché d’un sincère repentir, lorsque, profitant d’un moment où la surveillance s’était relâchée, il s’enfuit du couvent.

Quelques mois plus tard, on apprenait que ce pécheur endurci non-seulement foulait aux pieds tout remords, mais ne gardait pas même une ombre de fidélité à la malheureuse qu’il avait séduite. Reprenant, en effet, le fil de ses aventures, Sabinien parcourait les villes de Syrie avec la même allure, les mêmes intrigues et au besoin les mêmes profanations qu’auparavant. Il poussa l’impudence jusqu’à venir à Jérusalem braver Jérôme aux portes de son monastère, l’insulter, le décrier et calomnier les couvens d’Eustochium pour mieux couvrir son sacrilège. Il reçut alors du solitaire une noble et éloquente lettre, empreinte de sa vive indignation, plus empreinte encore de sa pitié. Jérôme n’éclate pas uniquement en malédictions et en anathèmes ; ce qui semble l’émouvoir plus que toute chose dans la conduite de ce misérable, c’est son impénitence opiniâtre, c’est l’audace insensée avec laquelle il prend Dieu lui-même pour l’objet de ses bravades et se joue des peines éternelles. Pour tâcher d’éveiller en lui la conscience de son crime, il lui en étale énergiquement les profanations, il veut faire passer dans ce cœur pervers l’horreur dont lui-même est saisi. Il le supplie, il l’adjure enfin de ne point « mourir vivant, » et ses accens ont quelque chose de ceux de Jonas appelant Ninive à la pénitence. Quant aux calomnies répandues contre lui-même, aux injures qui frappaient ses pieuses amies, il croit punir assez le diffamateur en lui pardonnant.

« Toi aussi, lui dit-il, pardonne à ton âme, crois que le fils de Dieu doit être un jour ton juge, et pense à l’évêque qui t’a ordonné diacre, cet homme vénérable que tu as fait faillir en l’abusant. Tes crimes ne retomberont pas sur lui, pas plus que ses mérites ne te sauveront, car Dieu ne punit point le père pour le fils indigne ; mais plus celui qui t’a ordonné est digne de respect, plus tu es détestable de l’avoir trompé. Hélas ! nous sommes les derniers à connaître les maux de notre maison, les vices de nos enfans, l’inconduite de nos femmes ; nous les ignorons pendant que tout le voisinage en retentit ! Nul de nous ne savait donc en t’accueillant que