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à la tribune, que devient la justice ? Le barreau a toujours fait grand cas de Montesquieu, et il put alors se rappeler sa remarque : « il n’y a point d’autorité plus absolue que celle du prince qui succède à la république, car il se trouve avoir toute la puissance du peuple qui n’avait pu se limiter lui-même. Aussi voyons-nous aujourd’hui les rois de Danemark exercer le pouvoir le plus arbitraire qu’il y ait en Europe. « Rien n’était plus vrai et ne fut mieux justifié. Après la tribune, la presse fut réduite au silence ; restait le barreau, qui ne pouvait être détruit, mais qu’on pouvait comprimer par une habile réglementation : il fut donc réglementé. On a remarqué toutefois dans la législation impériale une lacune fort expressive pour le barreau, et il est juste d’en tenir compte : on connaît ce code des préséances où tous les corps de l’état eurent un costumé prescrit et une place marquée pour les cérémonies publiques. Ce code ne parla point du barreau, et par son silence reconnut que les avocats ne dépendent à aucun titre du pouvoir, qu’ils ne sont ni des agens ni des fonctionnaires, et ne doivent assister à ces cérémonies qu’avec la foule. Ce fut à peu près le seul hommage rendu à une institution qui fuit la pompe et n’a rien à faire là où tient à se montrer sous une vaine prédominance le bras de l’autorité. La chaleureuse sympathie avec laquelle le barreau accueillit l’avènement de la restauration était donc bien naturelle ; elle s’annonçait comme le retour de la liberté politique, de la légalité ; le barreau et le pays cette fois marchaient ensemble, et leur union devait survivre à l’heure où éclateraient de regrettables malentendus. Aussi, quand le gouvernement revint en arrière et voulut faire sortir de la charte la censure, les privilèges et leur cortège, trouva-t-il sur la brèche le barreau escorté ou suivi de la magistrature, tous les deux ayant les sympathies publiques. Ce fut le commencement de la grande lutte judiciaire, qui a marqué cette époque à laquelle la magistrature doit encore sa popularité, et le barreau la meilleure page de son histoire. « Jamais il n’y eut accord plus complet et plus sincère qu’à cette époque, observe M. Pinard, entre le monde et le barreau, trop souvent séparés, moins dans la réalité que dans l’apparence. » Le terme de cette lutte, la révolution de 1830, fut comme une nouvelle étape pour le barreau. A partir de ce moment, il s’apaise et rentre dans le mouvement purement contentieux des affaires. La cause de la liberté était gagnée, que pouvait-il demander de plus ? Le barreau s’était franchement rallié au gouvernement. Dans le livre qui retrace l’histoire du barreau sous la monarchie constitutionnelle, les vives allures de ceux qui le représentaient avec tant d’honneur, de ces hommes aux aspirations libérales, au souffle glorieux et puissant, sont plus d’une fois rappelées avec un sympathique regret. Ces hommes, que sont-ils devenus, et quels seront leurs successeurs ? quelle est la jeune école du barreau ? Et cette question inspire à l’auteur des réflexions assez sombres. Est-il bien vrai cependant que nous marchions à une décadence certaine ? Sans doute il a manqué à la jeune