Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui veulent un attrait plus touchant et plus compliqué, des séductions plus fines et plus enivrantes, une douceur mélancolique et mystérieuse, la grâce caressante et vague de l’abandon rêveur, des yeux noyés ou illuminés qui interrogent l’espace, des formes molles qui se perdent dans la profondeur de l’ombre, des draperies enroulées ou déployées avec une curiosité savante dans l’alanguissement de la lumière ménagée et sous la magie du clair-obscur. Ils ont besoin d’affectation et de recherche, comme leurs prédécesseurs de force et de simplicité, et de toutes parts, parmi les différences des écoles, avec le Baroche, Cigoli, Dolci, comme avec les Carrache, le Dominiquin, le Guide, Guerchin, l’Albane, on voit paraître la peinture qui correspond aux doucereuses beautés de la poésie qui règne, du sigisbéisme qui commence et de l’opéra qui va se fonder.

Quand l’âme est devenue faible, elle demande des émotions fortes ; le raffinement conduit à la violence, et les nerfs, qui avec l’habitude de l’action ont perdu l’équilibre stable, exigent, après le chatouillement des sensations délicates, le tapage des impressions extrêmes. C’est pourquoi cette peinture sentimentale devient outrée ; il faut ranimer les fidèles tantôt avec un pâle visage de morte, tantôt par une boucherie de martyrs, tantôt par le contraste de figures grossièrement vulgaires et de figures délicieusement célestes, toujours par l’emploi des gestes excessifs, des attitudes frappantes, des personnages multipliés, des oppositions dramatiques. Sur cette donnée, les Bolonais prodiguent leur talent et leur art. Un grand tableau du Dominiquin, Notre-Dame du Rosaire, rassemble et entasse quatre ou cinq scènes tragiques, ayant pour but de montrer l’efficacité du saint rosaire : deux femmes qui s’embrassent et qu’un guerrier à cheval veut percer de sa lance, un soldat qui veut poignarder une femme qui crie, un ermite qui meurt sur la paille, un évêque en chape qui supplie Notre-Dame, tout cela accumulé dans un seul cadre. Figures effrayées ou pleurantes, bourreaux mélodramatiques, la pitié, la terreur, la curiosité sollicitées à l’envi et sans relâche ; sur tout cela, une pluie de fleurs et de chapelets qui tombent, la Madone entourée d’anges folâtres ou larmoyans qui portent la couronne d’épines avec la croix, le linge de sainte Véronique et les autres insignes de la dévotion mécanique ; — tout en haut, le petit Jésus qui lève comme en triomphe un bouquet de roses. Voilà la piété du temps telle que je l’ai vue à Rome dans les églises jésuitiques, piété à grand orchestre, et qui veut conquérir son public à force d’agrémens et d’excitations. — Son célèbre Martyre de sainte Agnès est du même goût. Sur le devant gisent des cadavres entassés, l’un la bouche ouverte par son dernier cri ; une femme effrayée se renverse en arrière avec un geste théâtral, et son enfant se cache dans