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savait de quel côté se porter : si la royauté avait tort d’abuser du pouvoir, les parlemens avaient-ils réellement le droit de la morigéner ? D’où leur venait ce droit ? A la société seule appartenait d’intervenir et de dire le dernier mot, car elle avait voix au chapitre : elle l’avait dit aux états de 1614 par la bouche du tiers-état, que représentaient en grande partie les membres du barreau ; mais on n’avait plus convoqué d’états et elle attendait. Voyant assez clairement le fort et le faible dans les questions débattues, le barreau, tout en restant du côté des parlemens, était sans illusion et sans enthousiasme. Telle était encore son attitude à la fin du XVIIe siècle. Aussi, dès que la société, fatiguée de cet éternel conflit, en vint à se mêler de la querelle comme d’une chose qui la regardait après tout et ne regardait qu’elle, le barreau abandonna avec joie les disputes parlementaires dans lesquelles, perdant de vue les questions de liberté publique, on s’égarait en vaines contestations de prérogative et d’influence personnelle. Il marche alors avec la société dans les voies nouvelles ; il hante les publicistes, discute leurs œuvres, et, voué à l’étude pratique des choses humaines, il mesure l’application de leurs théories. Certes le barreau ne fut point seul dans le courant des idées dominantes, mais au milieu d’une société qui, par un résultat fatal de sa constitution, avait à sa tête des hommes futiles et désœuvrés, à sa base une tourbe ignorante et grossière, le barreau, composé d’hommes studieux et pratiques, occupait dans les rangs intermédiaires une assez large place. Aux premières heures de la révolution, il ne faut donc pas s’étonner si le barreau fournit aux affaires publiques des hommes considérables, mais dont l’action cependant sur l’œuvre de cette époque n’a point encore été bien nettement définie. L’attention de l’auteur de l’un des livres qui nous occupent s’est tout d’abord portée de ce côté, et il a essayé de caractériser le rôle du barreau dans ces momens de crise.

Les avocats étaient en assez grand nombre à l’assemblée constituante, ils n’y furent pas aussi nombreux cependant que M. Pinard a paru le croire. Même parmi ceux qui y figuraient, il en était peu qui eussent réellement exercé la profession devant les tribunaux et qui en prissent ouvertement le titre. Barnave n’était inscrit à l’assemblée constituante que comme propriétaire. Aussi l’entrée du barreau à cette assemblée paraît-elle avoir pris sous la plume de l’écrivain quelque chose d’un peu théâtral. « Ces hommes, dit-il, au visage austère, au costume austère, qui s’avançaient le 5 mai 1789, suivis par les haines des uns, par les acclamations du plus grand nombre, qui, bientôt las du nom de communes, allaient reprendre leur véritable nom, celui d’assemblée nationale, étaient pour la plupart des avocats. Tous ou presque tous appartinrent à la cause des idées libérales et modérées ; accoutumés aux accommodemens et aux réalités, ils se défiaient des rêves, ils redoutaient les excès ; ils ne demandèrent à la révolution que ce qu’elle pouvait donner. » Assurément ce rôle de modérateurs éclairés et convaincus était assez beau à remplir. Il allait se faire un