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examiner de trop près. Il n’est pas jusqu’aux haines et aux railleries qui l’ont poursuivi dont il ne soit utile de rechercher la cause. Quel est enfin son avenir ? Est-il assez fort de ses traditions et de sa discipline pour échapper à cette influence pernicieuse que signalait naguère un magistrat dans un éloquent réquisitoire, et qui, après avoir relâché les liens moraux de la société, menaçait, selon lui, de s’étendre aux forces vitales des plus vigoureuses institutions ? On veut connaître à cette occasion ce qu’il faut penser, ce qu’il est permis de conclure des dernières monographies sur le barreau de Paris, et le profit sérieux que pourra trouver dans ces écrits l’histoire générale du barreau en France.

Le barreau n’a jamais eu ces couleurs tranchées qui ont distingué certaines compagnies entraînées à troubler les états par une puissance abusive. Profondément lié à la société, avec laquelle il tient à se confondre, il a une place à part au milieu des autres institutions et doit être étudié avec le sentiment élevé de la mission qu’il est destiné à remplir. Quelle est cette mission ? L’attorney general en donnait une fort bonne définition au banquet de Londres : « C’est le devoir et le haut privilège du barreau, a-t-il dit, de fournir à la justice les justes poids qui doivent peser dans sa balance en exposant devant elle toutes les considérations qui militent en faveur de l’un et de l’autre côté de chaque question, de se dévouer à la défense du faible et du malheureux et dans les grandes occasions, quand les libertés publiques sont en question, de se tenir en avant avec intrépidité et d’affirmer le droit public. » La définition convenait à un peuple libre qui a conquis ses franchises et n’a point oublié qu’il les doit en grande partie au barreau, c’est-à-dire aux énergiques efforts de la défense devant la justice du pays qui était le pays lui-même : elle eût été acceptée de la civilisation romaine, qui avait une organisation judiciaire à peu près fondée sur les mêmes bases ; mais avant qu’elle arrivât jusqu’à nous et pût s’appliquer à nos institutions, à nos mœurs, il a fallu des siècles. Le barreau romain subit le sort de la justice, ou plutôt il disparut lorsque celle-ci perdit réellement son nom. Ce fut l’heure où commencent aujourd’hui pour nous ces épaisses ténèbres que la science s’obstine à dissiper. Pour retrouver les traces du barreau, M. Gaudry a pensé que la meilleure méthode était de s’attacher à celles de la justice, et il a essayé dans sa monographie de reconstituer les tribunaux de ces temps reculés. Mais quelle était elle-même alors la justice ? Pour en avoir une idée, il faut descendre dans les catacombes de notre société, sauf à n’y rencontrer que destruction et que ruines ; il faut interroger avec patience les archives éparses et effacées d’une époque qui semble vouloir se dérober aux regards et échapper à l’investigation. La disparition du barreau sous la féodalité fut-elle complète ? M. Gaudry n’est pas éloigné de le croire. « On peut facilement supposer, dit-il, qu’à une époque où la justice même n’existait pas, le ministère des avocats fut à peu près nul. » C’est autrement peut-être qu’il convenait de présenter le fait : l’ignorance du juge n’avait pu s’accommoder de la science du barreau,