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je vous souhaite de moins rudes combats et plus de bonheur. » Heureux l’écrivain à qui s’adresse un tel langage ! heureuses les générations qui justifieraient ces pressentimens ! Au milieu de ces rudes combats dont le souvenir lui inspire une plainte si digne et si fière, M. Guizot a eu quelquefois le malheur de prononcer des paroles irritantes ; la lutte seule, on le voit bien aujourd’hui, était responsable de ces écarts. Les revers politiques n’ont excité chez lui aucun sentiment amer ; jamais on ne l’a vu plus maître de lui-même, plus respectueux de tous les droits, plus bienveillant pour ses adversaires, plus confiant dans l’avenir des institutions libres : grand exemple de noblesse morale et de vrai patriotisme ! Quelques services que M. Guizot ait pu rendre au pays pendant les orages de sa carrière active, il en a rendu de plus grands encore dans sa laborieuse retraite. Et qu’on n’aille pas voir ici une épigramme associée à la louange ; nous croyons lui adresser les félicitations dont il est digne. Il est plus facile de remporter une victoire à la tribune que de soutenir jusqu’à la dernière heure de sa vie un caractère sans reproche ; il y a moins de gloire et moins de profit à blesser les opinions adverses qu’à féconder les sentimens communs à toutes les âmes généreuses. L’enseignement continu, l’enseignement d’une vie haute, sereine, dévouée au bien public, l’enseignement que renferment la foi constante et l’espérance invincible exige plus de force, produit des résultats plus sûrs que les triomphes périlleux obtenus à coups de majorité. M. Guizot appartient plus que personne à cette famille d’hommes d’état dont amis ou ennemis sont bien obligés de dire avec M. Prevost-Paradol que leurs titres sont plutôt relevés que ternis par l’infortune. — C’est la première fois depuis bien des années qu’un chef de parti, victime de ses fautes ou trahi par les événemens, s’apaise sans se décourager, garde sa foi sans émigrer, fait appel à l’avenir sans jeter l’injure à ses contemporains ; l’exemple sera fécond et portera ses fruits.

Du haut de ces pensées sereines, et quand on relie si bien le présent à l’avenir, il est facile et doux de rendre justice au passé. Tandis que M. Prevost-Paradol, dans les entraînemens de sa plume de guerre, néglige un peu la tradition littéraire, M. Guizot la renoue en son discours avec une impartialité supérieure. Ce trait dominant de l’esprit d’Ampère, l’activité encyclopédique, l’enthousiasme de la littérature universelle, le culte idéal et pratique du génie de l’humanité, ce trait que nous regrettions de ne pas voir sous la plume du récipiendaire, le voilà mis en relief avec l’autorité d’un témoin et d’un maître. M. Guizot n’a eu qu’à se souvenir de ce mouvement intellectuel, vraie levée d’armes du XIXe siècle, à laquelle il a pris lui-même une part si énergique ; il n’a eu qu’à décrire cette merveilleuse communauté d’études pour y marquer d’un mot la place du critique enthousiaste. Quand la phalange dut rompre son faisceau, quand les vocations spéciales se déterminèrent, quand la politique, la philosophie, l’histoire, la poésie, l’érudition, attirèrent les uns et les autres, il y eut un homme, premier disciple de cette rénovation générale, qui en demeura