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la seconde et la troisième scène, l’une intitulée Cicéron et Brutus, l’autre César et Cicéron ; de quels traits il peint les petitesses, les vanités, les couardises du grand lettré ! La satire ici va jusqu’à l’injustice. C’est qu’il n’y avait pas de parti-pris chez Ampère alors même qu’il se trompait. Il aimait la vérité pour elle-même, en dépit des entraînemens de sa foi politique. Nous restons fidèles à son esprit en stipulant, non pas le droit de l’indifférence et de la neutralité mais le droit de la science. Et pourquoi d’ailleurs nous ramener toujours à ces problèmes équivoques, comme si nous devions y lire le secret de nos destinées ? « Les anciens sont les anciens, disait Molière, et nous sommes les gens d’aujourd’hui. »

Lorsque M. Prevost-Paradol, au nom des gens d’aujourd’hui, a revendiqué les droits de la conscience, lorsqu’il a protesté contre la théorie du droit divin, lorsqu’il a refusé sa foi à la mission providentielle des génies dominateurs, nous avons salué avec bonheur la tradition de 89. La vérité morale éclatait sur ses lèvres éloquentes sans que la vérité historique en souffrît. « Quoi ! disait-il, lorsqu’après tant de siècles écoulés les plus savans et les plus sages discutent encore pour savoir si tel événement était inévitable et nécessaire, on voudrait me contraindre à discerner, au milieu du tumulte dans lequel le sort nous fait naître, de quel côté va l’irrésistible courant de la fortune, lequel de mes semblables elle a choisi pour instrument et ce que l’immuable destin a résolu, afin que je lui obéisse et que je lui sacrifie sans hésiter les plus nobles instincts de mon cœur ! Je ne le puis… » A la bonne heure ! voilà le non possumus de l’esprit moderne. La conscience, les devoirs et les droits de la conscience, c’est là notre charte depuis que le christianisme a purifié l’œuvre de César et depuis que la révolution française a commencé l’application sociale des vérités chrétiennes. Que ce grand mot de conscience ne soit pas un vain mot, que ces grands principes ne flottent pas au vent comme une bannière de parade. Proclamons-les souvent, pratiquons-les toujours, tâchons d’y rester fidèles dans la retraite comme dans la vie publique. Ce sont les fortes mœurs qui font les nations saines, et les nations saines, bon gré, mal gré, font les gouvernemens libres.

On s’élève naturellement à ces pensées morales et sociales quand on entend parler M. Guizot. La réponse de l’illustre écrivain à M. Prevost-Paradol est une des belles pages de cette vieillesse sereine. Quelle sève dans ces paroles ! comme on y sent bien la saveur de l’expérience ! comme la grâce y tempère la force ! avec quelle paternelle bienveillance il sourit aux débuts du jeune confrère dont toutes les pensées ne sauraient être les siennes ! Il lui montre l’avenir, il prononce ces mots si simples, mais si doux, et qui résonnent comme un chant : « la France est la patrie de l’espérance ; » puis, mêlant les conseils aux éloges, les avertissemens aux encouragemens, il laisse échapper de son cœur ces accens que recueillera l’histoire : « vous aurez autant, vous n’aurez pas plus de respect que vos devanciers pour la vérité, le droit, la liberté, l’ordre légal, le bien public ;