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accompagnement grave et sobre qui ne fait que soutenir la solidité du corps et la noblesse du type.

Comment définir ce type ? La sainte n’est ni angélique ni extatique. C’est une forte et saine jeune fille, bien membrée et bien portante, au sang abondant et chaud, dorée par le soleil italien d’une franche et belle couleur. A sa gauche, une autre jeune fille moins robuste et plus jeune a plus d’innocence, mais sa pureté n’est encore que du calme. A mon sens, si honnêtes et si chastes qu’elles soient, elles le sont moins par tempérament que par adolescence : leur tête placide n’a pas encore pensé ; leur paix est celle de l’ignorance. Et comme avec Raphaël il faut aller, pour trouver des comparaisons, jusqu’aux sommets de l’idéal, je dirai qu’à mes yeux deux types seulement surpassent les siens, l’un, qui est celui des déesses grecques, l’autre, qui est celui de certaines jeunes filles du nord. Avec la même perfection de structure et la même sérénité d’âme, elles ont quelque chose de plus : les premières, la souveraine fierté des races aristocratiques ; les autres, la souveraine pureté du tempérament spiritualiste.

On voit très bien ici le moment de l’art que cette peinture représente. Ces cinq figures debout, non plus que celles du Pérugin, qui sont en face, ne sont point liées, entraînées dans une action commune ; chacune d’elles existe pour elle-même ; l’ordonnance est la plus simple possible, presque primitive. C’est un tableau d’église et non pas une décoration d’appartement : il a été commandé par une dame pieuse, et sert à la piété encore plus qu’au plaisir ; mais d’autre part les personnages ne sont plus raides comme chez Pérugin, leur immobilité ne leur interdit pas le mouvement. Ils sont robustes, largement musclés et drapés, beaux, libres, heureux comme des figures antiques. Le peintre a cette fortune unique de se trouver entre le christianisme, qui s’affaisse, et le paganisme, qui va triompher, entre Pérugin et Jules Romain. Dans tout développement, il y a un moment parfait, et un seul ; Raphaël s’en est approprié un, comme jadis Phidias, Platon et Sophocle.

Quelle distance entre cette Sainte Cécile et les tableaux du Pérugin son maître, de Francia son ami, qu’il priait de corriger son œuvre ! Il y en a six de Francia alentour, des madones copiées sur le réel et bienveillantes, un peu moins nettes et sèches que celles de Pérugin, mais qui se sentent toujours de l’art littéral et de la main dure de l’orfèvre. Comme tout s’est ennobli, dégagé, agrandi aux mains du jeune peintre ! Et comme on comprend le cri d’admiration de l’Italie !

Il fait tort à ses successeurs, aux Bolonais qui remplissent la galerie. Quand du tableau de Raphaël on passe à leurs peintures, il semble que d’un écrivain simple on arrive à des rhéteurs. Ils