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« Où donc, répondait Jérôme, la loi de Moïse nous offre-t-elle de pareilles distinctions ? La philosophie peut établir à sa guise des catégories d’actions bonnes, mauvaises ou indifférentes aux yeux de la morale. Dire que la continence est un bien, l’impureté un mal, et mille autres actions de la vie, telles que se promener, rester, tousser, cracher, etc., des actions indifférentes, parce qu’elles ne touchent pas à la morale : c’est là une distinction scolastique, sur laquelle on peut disputer ; mais la loi religieuse est d’un tout autre caractère. Ce qu’elle ordonne est un bien, ce qu’elle défend un mal ; violer ce qu’elle ordonne est un mal, s’abstenir de ce qu’elle défend, un bien, et le cérémonial qu’elle impose est bon ou mauvais suivant le culte qu’on professe. Penserais-tu par exemple qu’il eût été indifférent pour le docteur des gentils de participer même sans conviction au culte de la gentilité, d’invoquer ses dieux, de manger des viandes consacrées à ses idoles ? — Non, diras-tu. — Eh bien ! alors comment peux-tu regarder comme indifférentes dans le judaïsme les observances auxquelles Paul s’est soumis et a soumis ses disciples ? Quoi ! c’eût été une chose indifférente que la circoncision, ce signe de l’alliance entre Dieu et son peuple ? Quoi ! c’eût été un acte indifférent de se consacrer solennellement à Dieu d’après le rite des Nazaréens, d’offrir des sacrifices au temple de la main des pontifes, de faire des purifications obligatoires !… Si ces observances étaient indifférentes, en quoi donc consistaient les pratiques essentielles ? Tu les as définies ainsi ; celles où s’attachait l’idée d’un devoir strict envers Dieu, une idée de progrès vers le salut ; le reste, suivant toi, ne constituait que de simples coutumes exemptes de mérite comme de démérite. — C’est bien, mais alors quel cas fais-tu des Machabées, ces grands martyrs de l’ancienne alliance qui aimèrent mieux mourir que de violer les coutumes de leurs pères ? Tu leur enlèves la gloire et la raison du martyre, s’ils ne se sacrifiaient avec tant d’enthousiasme et de vertu que pour des choses indifférentes : non, non, ce qu’ils avaient sous les yeux en mourant, c’était le respect de la loi de Dieu. Quant à moi, je ne comprends rien à toutes tes subtilités. Si des cérémonies prescrites par un commandement divin ne servent pas à procurer le salut, à quoi bon les pratiquer ? Et s’il y a obligation, comment douter que Dieu n’ait attaché à cette pratique une condition de salut ? Le choix entre ces deux catégories de pratiques présenterait un arbitraire qui répugne à l’esprit de l’Ancien Testament, lequel est un testament de servitude ; jamais d’ailleurs on n’aperçoit dans ses textes le moindre signe d’une telle division. N’affirme donc point, comme tu le fais, que les deux chefs de la prédication chrétienne avaient pris deux rôles différens dans l’observance mosaïque, l’un pratiquant les choses essentielles, l’autre