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recouvre la vue, ne consentant à me la rendre, comme il advint de Stésichore, que sous cette humble condition.

« Tu ajoutes que, S’il y a quelque chose dans tes écrits qui me déplaise et que je veuille corriger, tu recevras ma censure fraternellement, et que tu y verras une marque véritable de mon affection. Veux-tu que je te dise ma pensée sans détour ? Me proposer un pareil marché, c’est défier un vieillard, c’est ouvrir la bouche de force à qui veut se taire ; c’est chercher à donner aux dépens d’autrui de vaines parades de son savoir. Certes, si j’allais te censurer, la seule apparence d’une maligne envie contre toi, dont les succès me doivent être si chers, cadrerait mal avec mon âge. Cependant considère que l’Évangile lui-même et les prophètes ne sont pas à couvert de la critique des hommes pervers et ne t’étonne pas qu’on puisse trouver à redire dans tes livres, surtout quand tu prétends expliquer les Écritures, si pleines, tu le sais, de difficultés. Tes ouvrages sont rares ici, j’en ai peu lu et je ne connais guère de toi que tes Soliloques et des Commentaires sur les psaumes. Que si je voulais critiquer ces derniers, il me serait peut-être aisé de démontrer que dans l’explication ou l’interprétation des textes tu n’es point d’accord, je ne dis pas avec moi, qui ne suis rien, mais avec les docteurs d’Orient, qui sont mes maîtres. Adieu, mon très cher ami, mon fils par l’âge, mon père par la dignité. Il me reste une chose à te demander, c’est celle-ci : lorsque tu voudras bien m’écrire, fais en sorte que je reçoive tes lettres le premier. »

Jérôme avait déchargé dans cette verte, mais juste semonce ce qui survivait de sa colère. Toute récrimination amère disparut de la seconde lettre. Piqué désormais du seul démon de la controverse, il oublie ses résolutions de froideur et entre à pleines voiles dans le sujet de la controverse, dont il s’empare puissamment à son point de vue. Sa tâche est de ramener la question de la sphère philosophique, où Augustin l’a placée, sur le terrain historique, son vrai terrain. Tout en prenant Origène pour guide, il donne à l’opinion des interprètes grecs un développement qui lui est propre et une vivacité d’argumentation qui rajeunit le débat. Chemin faisant, il montre la faiblesse de la thèse philosophique qu’on lui oppose ; il l’attaque surtout dans les hypothèses historiques dont Augustin l’appuie, et n’a pas de peine à prouver que, grâce à un point de départ erroné, les nécessités de la logique ont fait de l’évêque d’Hippone un hérétique au premier chef.


V

La thèse d’Augustin consistant à soutenir que la scène d’Antioche avait été réelle et non feinte et la réprimande de l’apôtre Paul