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d’espèce inférieure : on pense avec regret aux beaux monumens de Pise, de Sienne et de Florence ; le gouvernement républicain, l’énergie inventive et libre n’a point duré assez longtemps ici pour finir son édifice. Le bâtiment est coupé en deux, inachevé ; on a badigeonné l’intérieur, les trois quarts des fenêtres ont été bouchées, la façade est incomplète. Dans le jour blafard que laissent entrer les ouvertures, trop rares, on aperçoit quelques bonnes sculptures : Eve et Adam d’Alfonso Lombardi, une Annonciation ; mais on n’a pas le courage de les sentir, les yeux sont attristés. On sort, et de l’escalier dégradé on voit une place sale, des mendians, une canaille de vagabonds qui flânent. On se retourne par acquit de conscience, et tout d’un coup on est remué. Sur la porte centrale est un cordon de figures superbes, grands et vigoureux corps nus aux torsions et aux tournures païennes, une admirable Eve naissante, une autre Eve filant pendant qu’Adam laboure, Adam se renversant pour cueillir la pomme avec un mouvement d’une vitalité superbe. Elles sont de Jacopo della Quercia, il les fit en 1425 : c’est le moment où Ghiberti ciselait les portes du Baptistère ; mais Ghiberti annonçait Raphaël, et Quercia semble devancer Michel-Ange.

Cela ranime, et l’on va jusqu’à une fontaine qu’on découvre sur la gauche. Ici la renaissance et le paganisme atteignent leur extrême. Au sommet est un superbe Neptune de bronze par Jean Bologne[1], non pas un dieu antique, calme et digne d’être adoré, mais un dieu mythologique qui sert à l’ornement, qui est nu, et qui étale ses muscles. Aux quatre coins du bassin, quatre enfans, joyeux et bien tordus, empoignent des dauphins qui frétillent, et sous les pieds du dieu quatre femmes à jambes de poisson déploient la magnifique nudité de leurs corps cambrés et la sensualité franche de leurs têtes hardies, pressant à pleines mains leur sein gonflé pour en faire jaillir l’eau.


Pinacothèque.

On fait une première fois le tour du musée, et tout de suite on se sent amené, ramené, arrêté devant le tableau capital, la Sainte Cécile de Raphaël.

Elle est debout, entourée de quatre personnages debout, et au-dessus d’eux, dans le ciel, les anges chantent d’après un livre ; rien de plus : on voit qu’il ne poursuit point les attitudes variées ni l’intérêt dramatique ; nulle recherche ou effet de coloris ; un ton rougeâtre, d’une force et d’une simplicité admirables, enveloppe toute la peinture. Tout le mérite est dans l’espèce et la qualité des-personnages ; couleur, draperie, gestes, le reste est là comme un

  1. 1568.