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livre dont il s’agissait, c’était l’une ou l’autre des deux lettres ou peut-être toutes les deux. — « Que s’il existe dans mes ouvrages quelque chose qui t’ait pu blesser, confesse-le-moi : je recevrai fraternellement tes avis, y trouvant tout à la fois le plaisir de me corriger et une marque précieuse de ton affection. » Il ajoutait avec une grande effusion de cœur : « Oh ! combien je serais heureux de te voir, de demeurer près de toi, d’assister à tes entretiens ! Mais, puisque Dieu m’a privé de cette grâce, laisse-moi jouir du seul moyen qui nous reste de nous unir malgré la distance et de demeurer ensemble en Jésus-Christ. Souffre que je t’écrive et réponds-moi quelquefois. Salue de ma part mon saint frère Paulinien et tous les frères tes compagnons qui se glorifient de toi au nom du Sauveur. Souviens-toi de moi, seigneur très cher, frère très désiré et très honoré en Jésus-Christ. Puisse le Christ accomplir tous tes vœux, comme je le lui demande moi-même ardemment ! »

Cette lettre n’eut point sur Jérôme l’effet qu’elle devait produire, l’absence de justification le blessa. Une explication franche et entière sur des hasards si suspects pouvait seule désormais dissiper les ombrages qui assiégeaient malgré lui son cœur et faire taire ses conseillers. Voyant que l’évêque d’Hippone s’abstenait de parler de ses précédens envois, il s’abstint à son tour de toucher aux questions qu’ils traitaient, et à cette lettre, dont les réticences affaiblissaient le caractère affectueux, il répondit par une autre non moins affectueuse dans la forme, mais fière, hardie et qui témoignait que la plaie de son âme était vive.

« Seigneur vraiment saint et très heureux pape, lui disait-il, il m’est arrivé une lettre de ta béatitude au moment où partait pour l’Occident notre saint fils le sous-diacre Astérius. Tu affirmes, dans ces lignes que je lis, n’avoir point envoyé à Rome un livre écrit contre moi : ce n’est pas d’un livre qu’on m’a parlé, c’est d’une certaine lettre qui t’est attribuée et dont notre frère Sysinnius m’a apporté une copie. Tu m’y exhortes à chanter la palinodie à propos de la dispute des apôtres Pierre et Paul et à faire comme Stésichore, qui passa de la satire au panégyrique d’Hélène pour recouvrer la clarté des yeux que sa méchanceté lui avait fait perdre. Je t’avouerai avec simplicité que, tout en reconnaissant dans cette pièce ta méthode d’argumentation et ton style, je n’ai pas cru en devoir accepter témérairement l’authenticité et te répondre en conséquence, de peur d’encourir de ta béatitude le reproche d’injustice, si je venais à lui attribuer ce qui n’est pas d’elle. À cette raison de mon silence s’en est jointe une autre, la longue maladie de la sainte et vénérable Paula. Tout entier au soulagement de son mal, j’ai presque oublié ta lettre ou du moins celle qu’on a répandue sous ton nom. Excuse-moi donc en te remémorant le proverbe : « musique