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« J’écrivis l’année dernière à ta dignité par notre frère Astérius, le chargeant de te porter mon salut. J’aime à croire que ma lettre ne s’est point égarée. Aujourd’hui je te prie encore, par mon saint frère Présidius, diacre, de te souvenir de moi, ajoutant à cette prière une recommandation pour lui. Sache qu’il est à mes yeux un véritable frère ; aide-le, soutiens-le en tout ce que la nécessité réclamera, non pas qu’il manque de ce qu’exigent les besoins de la vie, grâces à Dieu, mais parce qu’il recherche avidement l’amitié des gens de bien, qui est à ses yeux un des grands bienfaits de ce monde. Quant à la cause qui lui fait franchir la mer d’Orient en Occident, tu la connaîtras par sa bouche, si peu qu’elle t’intéresse.

« Pour moi, retiré dans un monastère, je sens, comme sur un écueil, s’agiter autour de moi bien des flots, gronder bien des orages. Une foule de misères inséparables de l’exil viennent à l’envi m’assiéger, mais je me repose en celui qui a dit : « Ayez confiance, j’ai vaincu le monde. » Par sa grâce et sa protection, j’espère triompher aussi des attaques du méchant.

« Salue respectueusement de ma part notre saint et vénérable frère le pape Alypius. Les saints frères qui m’assistent dans le service de Dieu joignent leurs respects aux miens. Que le Christ tout-puissant te maintienne en parfaite santé et bonne mémoire de moi, seigneur vraiment saint et pape vénéré ! »

Convaincu à cette lecture que sa lettre avait été perdue, Augustin se hâta d’en écrire une seconde ; il la fit plus longue encore que la première, plus développée dans ses argumens, plus incisive dans ses conclusions, et malheureusement non moins acerbe dans sa forme. Comme s’il eût supposé qu’une fausse honte pouvait retenir Jérôme dans l’aveu de sa faute et dans la rétractation de cette doctrine dont il lui faisait un crime, il l’exhortait à « chanter la palinodie » à l’instar du poète Stésichore. Les fables grecques en effet racontaient que, ce poète ayant déchiré dans une satire l’honnêteté et, ce qui était plus grave peut-être aux yeux de l’héroïne, la beauté d’Hélène, les demi-dieux ses frères, Castor et Pollux, le punirent en le frappant de cécité, et ne lui laissèrent recouvrer la vue que lorsque, changeant le ton de sa lyre, il se mit à célébrer avec emphase les grâces et la vertu de celle qu’il avait outragée. C’est ce qu’on appela la palinodie de Stésichore. « Allons, disait Augustin à Jérôme, imite le poète, chante aussi la palinodie, et tu ne peux manquer de le faire si tu songes que la vérité des chrétiens est incomparablement plus belle que l’Hélène des Grecs, et que nos martyrs ont combattu pour sa défense contre la Sodome du siècle avec plus de courage mille fois que les Grecs contre la ville de Troie. Je ne t’engage pas à ce désaveu dans la pensée de te rendre les yeux de l’esprit. A Dieu ne plaise que je croie que tu les as