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poussait ce respect à l’excès et étouffait sous la lettre l’esprit de la loi. Ce fut d’elle aussi que survinrent dans la marche du christianisme naissant les plus grandes difficultés, et ces difficultés ne furent guère moindres au dedans de la part des pharisiens convertis qu’au dehors de la part des pharisiens persécuteurs. C’est donc l’esprit pharisaïque, dont le formalisme s’étendait au besoin à presque tout le peuple juif, que combattit l’apôtre Paul, ancien pharisien, qui connaissait le danger de sa secte et, par une réaction naturelle, se fit le docteur des gentils. Pierre éprouva le premier combien ces liens de la nouvelle alliance avec l’ancienne, si nécessaires qu’ils fussent, entravaient la propagation de l’Évangile. Lorsque, au début de son apostolat, il se rendit à Joppé, puis de Joppé à Césarée, sur la demande de Corneille, centurion de la légion italique, afin d’y baptiser ce Romain et sa famille, qui étaient tous gentils, il eut besoin de se justifier près de l’église de Jérusalem, composée de Juifs, et il invoqua pour couvrir cet acte de liberté évangélique l’autorité d’une mission spéciale de Dieu. C’est encore à une révélation spéciale que dut recourir l’ancien persécuteur Saul devenu le chrétien Paul pour motiver le rôle d’apôtre des gentils qu’il s’attribua et que les autres apôtres lui confirmèrent, comme ils confièrent à Pierre celui d’apôtre des Juifs. Toutefois la séparation de ces deux apostolats, attachés à deux propagandes diverses, fut plus nominale que réelle.

Si Pierre gentilisa en communiquant avec le centurion Corneille et sa famille, sur lesquels il fit descendre le Saint-Esprit, Paul au besoin judaïsait pour l’utilité de sa prédication. Tout docteur des gentils qu’il était, nous le voyons circoncire son disciple Timothée, fils d’une Juive et d’un Grec et par conséquent gentil ; il le faisait, nous dit son historien, « par crainte des Juifs. » A Cenkhrée, port de Corinthe, le même apôtre coupe sa chevelure, il se rase la tête suivant le rit des Nazaréens qui ont fait un vœu, et accomplit la marche nu-pieds, nudipedalia, consacrée par le rituel judaïque. Ce n’est pas tout. Arrivé à Jérusalem avec ses disciples gentils, il se rend au temple et les soumet en même temps que lui au cérémonial des purifications et des sacrifices : tout cela sans doute par crainte des Juifs, chrétiens ou non, — et par crainte aussi des Juifs, ses co-apôtres et les prêtres de Jérusalem lui avaient conseillé d’agir ainsi. Il fallait néanmoins que le danger des discordes intérieures fût grand pour que cet esprit altier se courbât sous des pratiques qu’il répudiait devant ses disciples comme au fond de son cœur.

Le grand péril en effet était de provoquer, dans le camp des fidèles circoncis, par un abandon trop brusque des observances légales et l’absence de ménagement pour les coutumes juives, des divisions qu’on n’avait pas à redouter du côté des gentils. Déjà