Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/474

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’oser balbutier quelque chose aux oreilles d’une femme de leur race. Assurément je leur concède la grandeur de l’éloquence et la science des lettres humaines ; mais j’ai pour moi les clartés d’en haut, que nul ne possède, s’il ne les reçoit du père des lumières. Prie le Seigneur, le vrai Elisée, de vivifier du moins en moi les eaux stériles et mortes, et toi, cherche plutôt la vérité sans élégance que les élégances mensongères. Trop souvent la gloire des lettres ressemble à ce Satan que Jésus vit tomber du ciel comme un éclair. »

Les questions d’Hébidie dénotaient en elle un esprit ferme et un sincère désir de connaître. Jérôme lui démontra, par des raisons tirées de certains usages des Juifs, la concordance des Évangiles sur le point précis de la résurrection malgré quelques dissemblances de détail. On voit dans ses explications que le dernier chapitre de saint Marc, qui semble en contradiction avec le récit de saint Matthieu au sujet de l’apparition de Jésus à Marie-Madeleine, manquait dans la plupart des manuscrits grecs et ne se lisait point dans les églises d’Orient. Hébidie le consultait aussi sur les paroles du Sauveur prononcées à la dernière cène : « je ne boirai plus de ce jus de la vigne jusqu’au jour où je le boirai nouveau avec vous dans le royaume de mon père. » N’est-ce pas là, demandait la savante Gauloise, une annonce du règne de mille ans ? — Jérôme la dissuade, car il condamnait les millénaires avec toute l’église catholique, et avec elle encore il assigne aux paroles du Christ un sens mystique en les rapportant au sacrement de l’eucharistie.

Hébidie ne figurait pas seule dans la volumineuse correspondance confiée au prêtre Apodemius ; Algasie, autre matrone gauloise, avait aussi voulu, à l’instar de la reine de Saba, « consulter la sagesse aux extrémités de l’univers, » et le prêtre apportait de sa part une seconde série de questions pour Jérôme. Dans le nombre se trouvait celle-ci ; — A quels événemens convient-il d’appliquer les terribles paroles de l’Évangile : « malheur à celles qui allaiteront ou enfanteront dans ces jours-là ! priez que votre fuite ne se fasse pas en hiver et au jour du sabbat ? » A la demande inquiète de cette Gauloise, ne dirait-on pas un premier frémissement des convulsions de sa patrie ? Cette lettre était écrite à la veille d’une irruption de barbares, avant-garde de celle des Huns.

Lors de la lettre suivante, le doute est levé : la sinistre prédiction s’est accomplie. Les Vandales, les Suèves, les Alains occupent la moitié des Gaules, les Burgondes et les Francs menacent le reste, et les dames gauloises, dispersées comme une troupe d’oiseaux effrayés, se sauvent les unes en Italie, les autres au-delà de la mer. Parmi ces dernières, Artémie, trouvant un navire à sa portée, s’y