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résigné, on la conduisit en Palestine près de sa tante, et elle prit le voile à Jérusalem. Sa venue fut une grande consolation pour Jérôme.

Rentré dans la paix de l’étude, il reprit ses traductions de l’hébreu. Ruth, Esther, le Livre des Rois, Isaïe, suivis des petits prophètes, Osée, Joël, Amos, Zacharie, Malachie, furent ses premiers travaux depuis la mort de Paula. Eustochium lui avait demandé la traduction de Ruth, Paula celle d’Esther et d’Isaïe ; il les leur dédia à toutes deux en même temps, car cette double amitié n’en faisait qu’une à ses yeux. « Il ne séparait pas, disait-il, ceux qu’il aimait de ceux qu’il avait aimés. » Il disait encore avec une confiance touchante : « Ce rude labeur sur un idiome étranger me servira de rançon auprès de Dieu, car je l’entreprends pour démontrer la vérité de la foi contre les impostures des Juifs, et non par une recherche de vaine gloire. Paula, qui voit Dieu face à face et connaît le fond de mon âme, le sait bien et priera pour moi. » Jérôme dictait ses traductions, comme il dictait ses commentaires et ses lettres, soit à cause de la faiblesse de sa vue, soit à cause d’une gêne qu’il éprouvait à la main droite et qui l’empêchait d’écrire. On le voit souvent déplorer cette nécessité, qui rendait, suivant lui, son style incorrect et diffus ; « mais quoi ! ajoutait-il aussitôt, l’explication des Écritures réclame l’exactitude bien plutôt que l’ornement. »

Lorsque la critique, toujours acharnée contre cette grande entreprise des traductions hébraïques, venait gronder jusqu’à lui du fond de l’Occident, il gémissait. « Si mon métier avait été de tresser des corbeilles de jonc ou de coudre des nattes de palmier pour gagner un peu de pain à la sueur de mon front, l’envie me pardonnerait, s’écriait-il ; mais, trop obéissant aux préceptes du Sauveur, j’ai voulu pétrir pour les âmes le pain impérissable de la vérité ; j’ai voulu purger les sacrés sentiers des mauvaises herbes que l’ignorance y multipliait, et voilà que j’ai commis un double crime ! Si je corrige et rétablis les choses viciées, je suis un faussaire ; si j’extirpe l’erreur, c’est moi qui la sème ! Ce n’est pas tout, je trouble des habitudes auxquelles on tient même quand on les blâme, car l’homme adore ses vices tout en les reconnaissant. On a de beaux volumes, qu’importe de les avoir bons ? Voici des gens qui sont passionnés pour les manuscrits qu’ils possèdent, rien n’est plus respectable à leurs yeux que ces caractères dessinés avec l’or et l’argent sur des parchemins de pourpre, ou ces autres tracés en lettres onciales, et qui, par leur grosseur, forment des ballots plutôt que des livres : qu’ils les gardent, j’y consens de grand cœur, pourvu qu’il nous soit permis, à moi et aux miens, de préférer à ce trésor de pauvres petites pages sévèrement revues et d’avoir