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dans l’extase divine qu’excite en eux le pressentiment des âges d’où la misère, l’ignorance, l’esclavage, sous toutes les formes, auront disparu, où du moins il n’y aura plus de fatalité et d’hérédité du mal dans les conditions d’une société mal faite, plus d’autre mal que celui que l’homme porte dans sa liberté et qui en est à la fois l’épreuve et le châtiment. Ainsi se dénoue le drame où l’on voit une généreuse volonté s’élever de plus en plus, se purifier d’abord par son commerce avec la poésie et avec la science, par son initiation graduelle aux derniers mystères du beau et du vrai, puis s’appliquer tout entière au bien de l’humanité, jusqu’au jour où par un dernier progrès moral la conscience héroïque si souvent tentée par la passion, cette magie éternelle du cœur humain, ose s’en affranchir et mérite de connaître jusque dans la mort la joie du plus noble triomphe. Non, Dieu ne pouvait pas damner Faust ; c’eût été damner notre nature et notre misère, damner nos passions et nos tristesses, damner en même temps ce qui les rachète ou les console, ce sentiment du beau et du bien qui persiste au fond de nos perversités et de nos souillures, ce rayon divin que ne voit pas Méphistophélès, qui éclaire notre nuit et nous relève de notre néant.

Ecoutez le chœur des anges tandis qu’ils planent dans les régions supérieures, portant dans leurs bras entrelacés la partie immortelle de Faust : « Il est sauvé, le noble membre du monde des esprits, il est sauvé du mal. Celui qui a toujours lutté et travaillé, celui-là, nous pouvons le sauver ; l’amour suprême, du haut du ciel, a pensé à lui ; le chœur bienheureux va à sa rencontre et le salue avec joie. » On peut juger, par cette apologie de l’activité, du véritable caractère de la philosophie de Goethe. Son panthéisme n’est pas de ceux qui éloignent l’homme de l’action et qui l’endorment dans une inerte béatitude, sous la loi d’une fatalité qui pense, qui veut, qui règle tout pour lui ; c’est là le panthéisme mystique, oriental, en tout l’opposé des idées et des sentimens de Goethe. Son panthéisme à lui est un panthéisme agissant, qui réserve à la volonté de l’homme son rôle distinct, sa part dans l’œuvre universelle, qui l’affranchit des fatalités de la nature, non jusqu’à les détruire, mais jusqu’à les restreindre dans des limites que recule sans cesse l’effort triomphant de l’humanité libre. La Grèce et Rome, avec les stoïciens, nous avaient déjà donné l’exemple de cette espèce de panthéisme, transformé jusqu’à un certain point et spiritualisé par la foi dans la liberté.

Faust est l’esprit humain, l’humanité avec sa misère et sa grandeur. Il méritait donc d’être sauvé comme l’esprit humain lui-même, qui, à l’exemple de Faust, s’élève à travers les âges par l’effort d’une activité toujours plus haute et plus pure. Mais Faust, avant