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Peut-être aurait-il désarmé les malheurs qui s’apprêtent, si Méphistophélès, qui se joue dans les catastrophes comme dans son élément propre, ne précipitait les événemens par ses inventions diaboliques. Dans cette grande orgie d’une nation que sa folie précipite aux abîmes, il n’est pour le sage dont les conseils sont méprisés qu’un refuge digne de lui : l’art et la science. — L’art et la science remplissent le vaste intervalle qui sépare les premières scènes, où l’on voit paraître Faust à la cour, de celles où il retrouve l’empereur et où il lui apporte la victoire. Dans ce long espace d’années, Faust a poursuivi deux grands objets : la beauté suprême, la poésie dans Hélène, — la science, non plus la science vide de l’école, mais la science réelle, positive, la science de la réalité vivante avec Homunculus, qui le conduit aux sources mêmes et jusqu’au principe de la vie. Ces deux grandes occupations de la pensée ainsi comprises, c’est de l’action encore. La connaissance de la nature et la poésie, en éclairant l’esprit de l’homme, en élevant son âme, deviennent d’admirables agens du progrès, — Au quatrième acte, Faust vieillissant aspire à limiter son activité pour mieux l’employer, à en circonscrire le vaste champ pour en augmenter la fécondité en l’appliquant à quelque œuvre spéciale, déterminée, plus directement utile aux hommes. « Il se sent, dit-il, des forces nouvelles pour de hardis travaux. » Incapable de comprendre ce magnanime désir, qui est l’honneur du cœur humain, le désir désintéressé du bien, Méphistophélès va chercher dans des motifs moins nobles le secret de l’inspiration qui porte Faust aux grands desseins. « Tu veux donc obtenir la gloire ? lui dit-il. On voit que tu viens de chez les héros ! — Non, répond fièrement Faust. L’action est tout, la gloire n’est rien. » Son rêve est de conquérir sur la mer de vastes plages qu’il fertilisera, où il attirera des populations heureuses et florissantes, une sorte de Hollande idéale que le commerce et l’agriculture enrichiront à l’envi ; mais au moment d’accomplir son rêve un épisode imprévu le rejette dans la plus triste réalité, dans les horreurs de la guerre. Il faut ainsi payer souvent d’un prix bien cher le droit d’être utile à l’humanité. Faust se dévoue à cette rude tâche de sauver la société en sauvant un prince médiocre et faible dont la chute serait funeste, mais dont la victoire même est triste. Il assure son triomphe sur l’anti-césar et se hâte de se retirer au bord de la mer, sur les grèves arides qui lui ont été cédées par l’empereur comme prix de son secours, et dont il va faire par son art la province la plus fertile de l’empire.

Là enfin sera-t-il heureux ? Jouira-t-il en paix de cette joie de l’activité utile, dans laquelle, après les agitations de sa vie, sa vieillesse espère enfin se reposer délicieusement ? Non, même cette