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cile, leur âme et leur cœur. Le poète aura réalisé dans la vie de son héros l’idéal de sa morale, qui se tourne tout entière à l’action, si l’on prend ce mot dans son sens le plus haut et le plus large, — l’action opposée à l’égoïsme de la passion, de la pensée solitaire, apposée à la spéculation, qui se dissipe dans l’abstraction vide, ou à l’agitation non moins stérile des vains désirs qui étreignent le nuage, l’action enfin, soit qu’elle s’exerce dans les devoirs positifs de la vie pratique, soit dans les grandes œuvres qui régénèrent un pays ou un peuple, soit dans la culture esthétique et scientifique de l’esprit.

En ce sens, on peut dire que ce poème n’est pas seulement la suite et le complément du premier Faust ; il achève Werther en le corrigeant, il en rectifie l’impression dernière par la leçon de la plus haute et de la plus complète expérience, résumé d’une longue vie. Werther, c’était la sensibilité maladive de la vingtième année, se prenant elle-même pour le terme et l’unique but de la vie, et qui, trompée dans son rêve, n’a plus la force de supporter la réalité sans l’illusion, la vie sans la passion, la passion sans le bonheur. C’était l’exaltation de l’amour s’égalant dans son délire à la vertu antique, se revêtant à ses propres yeux des prestiges d’un héroïsme imaginaire, qui n’est au fond qu’une lamentable et puérile folie. — La seule correction de Werther, le seul remède à cette maladie qui avait fait tant de ravages parmi la jeunesse allemande devait être, dans la pensée de Goethe, le tableau des efforts, des luttes et des triomphes de l’activité. Faust se jetant dans la réalité pour s’y guérir des langueurs de l’imagination et des énervemens de l’amour devait, selon l’intention du poète, servir d’exemple à tous ceux qu’aurait pu séduire le type poétique de Werther, qui seraient tentés, comme lui, de prendre dans l’exaltation du sentiment je ne sais quelle inspiration supérieure au devoir, de substituer à la simplicité de la vie pratique la fausse et dangereuse grandeur du rêve. L’action ! l’action ! voilà le salut de ceux qui se sont trop longtemps complu dans l’extase intérieure. Il faut en sortir à tout prix, et c’est par là que Faust sera sauvé, s’il doit l’être, à travers tant d’erreurs, de crimes même, sauvé dans le sens symbolique que Goethe attache à l’expression chrétienne ; c’est par là qu’il aura reconquis son vrai titre d’homme et racheté sa vraie grandeur « aux yeux de Dieu et de la nature. »

Par là aussi l’intention morale du second Faust est d’accord avec celle qui se dégage des Années d’apprentissage et des Années de voyage de Wilhelm Meister, « cette épopée subjective dans laquelle l’auteur a demandé la permission de traiter le monde à sa manière. » C’est une permission que Goethe prenait volontiers, même sans la demander. A travers les épreuves de Wilhelm